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Brochier le sociologue et le terrain
Christophe Brochier Comprendre et pratiquer la Sociologie ; (éditions Armand Colin, 20015, 253 pages)
Vient d’être publié un manuel qui sera utilisé par les jeunes enseignants qui font de l’initiation, la pédagogie « primaire » des amphis de première année: publics hétérogènes, pas forcément intéressés auxquels il faut donner une première idée notamment s’ils sont là par défaut, sans vocation véritable,. Mais d’autres publics l’apprécieront. Tels des chercheurs débutants. Partant du constat que les usuels, les guides ne sont pas véritablement écrits pour les novices décalés par rapport à la masse de savoirs :le postulant est souvent l’oublié des auteurs de dictionnaires ou d’abrégés ; ce manuel évite la sophistication comme si une génération à 20 ans pouvait faire ses preuves à la suite de quelques « Précis de méthodes ». Le premier contact déroutant, l’auteur l’éprouva, à 25 ans, après d’autres études et aujourd’hui en tant qu’enseignant, il écrit l’initiation à la recherche qu’il aurait aimé lire. Ces conditions font de cet ouvrage une sorte « d’anti-manuel », à l’écriture familière. Brochier met en garde contre le choc de l’érudition. Il adopte une approche pragmatique, sans terminologie absconse. Cette sociologie est accessible au commun des lecteurs puisqu’elle inclut des exemples de la vie ordinaire. Il s’adresse directement aux jeunes peu sûrs d’eux. Bonne surprise, Brochier annonce, tout de go, qu’il vise également un public hors cursus ; celui qui fait de la sociologie par détour de questions posées dans des études ordinaires. Son constat est imparable : il faut redevenir « transversal » si on veut demeurer une discipline universitaire à part entière. L’affaiblissement des effectifs en sociologie a été provoqué par l’absence de professionnalisation large. En revanche, sera ressenti le besoin d’une culture orientée vers des problèmes sociaux qu’ils soient caractéristiques d’un métier quelconque au secteur étendu. Domaines où, en crise d’effectifs, des enseignants variés, tentent de s’affranchir de la sociologie normative et dogmatique tout en prenant conscience de leurs propres préjugés quand ils pratiquent une recherche quelconque. Si d’emblée, l’auteur prend acte de l’affaiblissement de la composante académique, il évite la fusion de la sociologie avec les autres disciplines du « social ». Destinée commune à la géographie humaine, la démographie historique, l’anthropologie sociale. Il avertit que le contact avec des publics diversifiés sera notre avenir et qu’il se fera en une ou deux années, avant une bifurcation. Dès lors, un jeune âge est particulièrement choisi pour acquérir de bons « réflexes », les généralités et les démarches élémentaires. L’auteur est persuadé que la sociologie contemporaine, si elle « meurt » sous sa forme institutionnelle (agrégation, doctorat), au même moment renaît sous une demande « autre » qui explose. Peu de cursus ou de spécialité n’y font pas appel que ce soit dans un cours, un jury, un article. La sociologie diffuse sa réflexivité autant en sciences dures, droit, journalisme, administration, sciences politiques que dans la culture médicale, les études de gestion, communication, arts, architecture etc. Elle concernera ceux qui cherchent un sens à leur action, une conception de l’influence du contexte professionnel, des interactions entre milieux de travail. Même les mathématiques, les Ecoles d’ingénieurs cherchent le moyen d’évaluer leurs déterminations exogènes, leur impact propre, la prise en compte des choix de décision ou l’influence des réseaux. Or, là nous sommes compétents pour aider ces formateurs à réfléchir à leurs conditionnements. De nombreux diplômes souhaitent donner à leurs candidats, des conseils de rédaction lors de rapports de stages, de petites enquêtes, de notes d’observation. C’est pourquoi, les grands thèmes explicitement abordés et longuement discutés sont le chapitre 4 :« le travail et les organisations » en incluant les institutions, l’usage des documents professionnels et des statistiques. Avec le Chapitre 6 : «Rédiger un rapport d’enquête », on a presque une moitié du contenu d’un ouvrage proposant explicitement à des jeunes gens l’aide à l’écriture, quand, à la sortie d’une expérience, ils octroient une dimension sociologique à leur réflexion de jeune citoyen. Or, cette demande diffuse risque de se réaliser sans nous. Une orientation basique est donc un juste objectif. Pas forcement une sociologie au rabais, ni « pour des nuls » !
Emanciper les jeunes postulants venus de publics différents, de leurs préjugés n’oblige pas à s’aligner sur de grandes théories ou des méthodologies incontournables, mais plutôt sur la culture générale de notre métier. L’auteur en souplesse rassure les candidats. Il leur dit:« si vous prenez cette voie, cette démarche, voila où vous irez... ; si vous prenez telle direction, vous arriverez là; avec telle donnée, à tel résultat. Aucune n’est mauvaise en soi, ni erronée ». La qualité finale sera testée dans le volume des faits produits, de la qualité d’exposition, de la force des vérifications (entretiens, observations, questionnaires, statistiques, documents historiques). Il fait crédit donc à une autodidaxie graduellement acquise à travers des errements inévitables. Sans jamais l’évoquer l’auteur sait de quoi il parle. Dans sa filière initiale d’Ecole de Commerce et de Gestion, il dut s’adapter à un environnement étranger, quand pour son diplôme – après un stage en entreprise au Brésil- où il apprit la langue - il rédige un rapport relevant de la société brésilienne. Il décide alors à son retour à Paris de s'engager dans le cursus officiel de notre discipline. C’est pourquoi il met son expérience au service de ceux qui pour conclure un stage, une enquête, un rapport de recherche ou bien un Master, doivent écrire un texte à dimension sociale, sans y avoir été préparés . Toute la dernière partie est consacrée en conseils d’écriture après une enquête en milieu difficile. En apprenant en quelques mois à réaliser une observation participante de sociologie du travail avec une équipe d’ouvriers du bâtiment à Rio, il annonce ses autres enquêtes (enseignant dans une favela, cadre d’entreprise en France, où il manifeste l’égale nécessité du travail sur archives, l’histoire des institutions, l’enquête statistique et devient un rare sociologue français écrivant une histoire de la sociologie brésilienne. Voulant attester que l’innovation n’a pas de bornes et qu’il reste d’immenses terrains en France inconnus, il devint dans un de ses meilleurs textes, prémonitoire des accidents mortels à venir, un cobaye des tests thérapeutiques de médicaments, un « métier » méconnu ([1]).
Dans les exemples d’enquêtes réussies où il ne se met aucunement en scène se citant à peine en bibliographie qu’il recense, il suggère en tant que chercheur erratique des voies de sorties, grâce au sens de l’invention méthodologique, de l’adaptation à de milieux variés. Si on y ajoute les conseils pour une écriture simple, cela parlera fortement aux étudiants actuels. C’est pourquoi, finalement il a décidé de faire, non pas un guide impératif, mais un livre « de raison » pour de futurs professionnels sociologues ou non, tous enclins à la curiosité sociale. Aider les étudiants « étrangers » » à notre discipline et, réussir ainsi la mutation nécessaire de la spécialisation vers une culture générale ouverte à la curiosité moderne et à la mondialisation, tel est l’ objectif original qui ne pouvait avoir été écrit que par un collègue au parcours peu typique.
Pour saisir son intention, le mieux est de commencer à le lire par la fin : le chapitre 6 donne l’idée subtilement avancée. Puis, que le lecteur, s’il accroche, revienne à l’introduction et lise ensuite au gré de l’humeur ou de sa préférence personnelle puisque les chapitres sont quasiment indépendants. Ainsi le Chapitre 1 « le mode de raisonnement de la sociologie » évoque le rôle et la force de l’erreur, la relativité des données ; par contre le chapitre 3 dénonce les concepts discutables et discutés, produits d’une approche rigide, alors que dans le chapitre 2 : les «erreurs courantes » sont partie inéluctable de problèmes mal posés au détriment de vraies solutions . Ce qui annonce le Chapitre 4 : « Quelques concepts et leur usage où en praticien astucieux il offre une approche peu hiérarchique et peu conventionnelle (250 auteurs de la bibliographie incluant quelques rares noms célèbres et surtout de bons praticiens ou des non-sociologues). Il laisse voir le risque d’idéaliser les directives de méthodologie sous-tendant une spécialité très originale : « le social », les connaisseurs du « social », avec carrière attachée à une sorte d’extraterritorialité. Par contre, si on doit s’approprier un pan de la réalité, du monde du travail ou autre, il propose, exemples à l’appui, de « ne pas se demander pourquoi mais comment ». Quand il encourage à l’enquête des jeunes gens, il les incite à rechercher des éléments qui semblent avoir de nombreux points communs mais dont on doit comprendre en quoi ils diffèrent, menues différences à partir desquelles on élabore de nouvelles dimensions explicatives. Tache exaltante mais exigeante dans le cadre d’un travail de terrain. Ces expériences riches, il les décrit dans 8 grandes enquêtes exposées méthodiquement dans le chapitre « Rédiger un rapport d’enquête ». L’apport des données reconnues qu’il emprunte à des collègues en évitant -humilité ?- de parler des siennes, suscitera des vocations en sociologie du Travail. Les idées créatrices sont coûteuses en efforts et en durée, mais « ça vaut le coup », semble –t-il dire aux jeunes recrutés.
[1] J’ai utilisé son observation des tests pratiqués sur les humains. Un terrain peu conventionnel qui surgit ces jours-ci dans l’actualité. Les accidents thérapeutiques ne sont pas rares, ainsi que l’éprouvent des milliers de jeunes gens désargentés ou chômeurs
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