• Christophe Brochier 

    Maître de conférences en sociologie 

    Université Paris 8, laboratoire CREDA-IHEAL 

     

    Pourquoi s’intéresser à l’histoire de la sociologie ? 

     

    Introduction 

              L’importance du travail de terrain est aujourd’hui reconnue en sociologie et peu de doctorants se consacrent désormais à l’histoire des idées en sciences humaines. Ce phénomène est renforcé dans les études latino-américaines qui sont souvent embrassées par des étudiants désireux d’une expérience réelle, vécue, des Amériques. Il faut, sans doute, se réjouir de cette situation qui amène les futurs chercheurs professionnels à maîtriser personnellement les méthodes et les pratiques de l’enquête de terrain. Il n’en demeure pas moins qu’une dose d’érudition peut rendre des services au jeune chercheur même le plus épris de fieldwork. La chose ne se perçoit pas immédiatement ; il faut s’être intéressé un peu longuement à l’histoire des idées et à l’histoire des sciences pour concevoir clairement l’intérêt qu’un savoir minimal en ce domaine peut avoir. J’aimerais, dans ce court texte, dégager quelques apports évidents que l’étude d’une partie de l’histoire de la sociologie peut avoir pour n’importe quel doctorant. 

    I.   Quelle histoire de la sociologie ? 

              Avant de débuter notre plaidoyer il est nécessaire d’apporter quelques précisons théoriques et bibliographiques. Notre propos n’a de sens que si l’on dit clairement ce que l’on entend pas « histoire de la sociologie ». L’une des raisons qui rendent les doctorants relativement insensibles à cette branche de l'histoire des idées est la forme de « systématique » qu’elle adopte généralement. Merton avait désigné par ce terme, dans un texte désormais classique (Merton, 1968), la tendance à ne présenter l’histoire de la discipline que sous la forme d’une sélection de grands auteurs ou de grands textes présentés comme des étapes indispensables. Dans cette configuration, l’« histoire » de la sociologie n’est pas à proprement parler le résultat d’un vrai travail d’historiographie. Elle est tout au plus une leçon pour étudiant à l’arrière plan idéologique et épistémologique non explicité. Il en va ainsi pour les sciences humaines comme pour les sciences dures. Une véritable histoire devrait décrire l’ensemble du milieu social concerné, ses figures célèbres et ses participants restés dans l’ombre, leurs conditions de travail et de carrière, les institutions dans lesquels ils évoluent, l’organisation des recherches et leur valorisation, la diffusion des supports, le public, les financements etc. De cette manière on s’éloigne radicalement de l’histoire traditionnelle des idées, souvent inspirée par l’histoire de la philosophie et qui dresse généralement un panorama de la succession des positions idéologiques expliquées par le jeu d’ « influences » et un rapport vague au contexte social, politique ou idéologique. Il va sans dire que le programme opposé que j’ai esquissé est très loin d’être rempli, y compris dans les pays fondateurs de la discipline. Mais l’essentiel n’est pas là. Je voudrais rappeler ici que l’histoire de la sociologie doit être regardée comme une entreprise ne se limitant pas à ce que proposent les manuels les plus courants. Par ailleurs, s’il n’y a pas de texte satisfaisant à notre cahier des charges, il est cependant évident que depuis 20 ou 25 ans, en France et ailleurs, des chercheurs dégagent des voies pour une nouvelle histoire des sciences sociales (histoire des recherches, histoire des laboratoires, histoire des réceptions, etc.). Ces textes peuvent inspirer aux doctorants un nouveau regard ou une nouvelle envie. Avant d’aller plus loin nous regarderont deux exemples. 

    II.  Exemples de travaux récents 

              Le livre de Philippe Masson,  Faire de la sociologie est assez caractéristique d’une nouvelle manière d’envisager l’histoire de la sociologie. L'auteur pose comme fondement à son entreprise que « l’histoire de la sociologie française est donc avant tout celle de ses enquêtes et de ses formules de recherche et non celle de ses théories, de ses notions, de ses supposées écoles » (Masson, 2008 : 6). Pour cela, il décrit la sociologie française depuis les années 1950 en se concentrant sur un certain nombre d’enquêtes influentes. Pour chacune de ces enquêtes, Masson décrit le contexte plus large des recherches de l’époque. L’une des conséquences est souvent de dissiper l’illusion de singularité. Il montre la façon dont les différentes parties de chaque livre ont pu être interprétées. Il replace les concepts dans leur contexte historique. Il explique le succès de chaque livre en montrant ce qui a pu frapper les différents types de lecteurs. Il replace enfin toujours les œuvres dans le contexte du fonctionnement de la sociologie de l’époque. Il évite ainsi les risques de déformation du sens de l’œuvre au fil des années 

    Le livre de Jean-Michel Chapoulie La tradition de Chicago (2002) est aujourd’hui considéré comme la référence sur le sujet. L’auteur part du principe qu’une histoire de la sociologie ne doit pas être une simple histoire des idées mais une histoire des institutions, de leurs agents et des fruits de leur travail. Les idées ne sont jamais indépendantes de cet arrière plan. La tradition (et non l’école) de Chicago est donc envisagée non pas à partir d’une série de points communs assurant automatiquement une continuité entre les époques mais au contraire en étudiant comment un certain nombre d’individus (à la biographie clairement exposée) ont travaillé ensemble dans une même université à des recherches qu’il fallait pouvoir financer. Chaque acteur est replacé dans le monde qui est le sien et chaque entreprise de recherche est regardée à partir des contraintes réelles et de son déroulement concret. Les divergences et les facteurs de diversité apparaissent alors aussi largement que les points de convergence. 

    Ces deux exemples illustrent des tentatives comparables pour faire sortir l’histoire de la sociologie d’un schéma focalisé sur les idées et les présentant seulement comme le produit d’autres (1) idées. Ils reposent sur le principe que le rapport au contexte social doit être précisé et documenté. Ils mettent également en pratique le principe suivant lequel la production intellectuelle prend la forme de textes composés à partir d’étapes concrètes que l’on peut en partie connaître. Comprendre ces textes ne signifie pas seulement les relire et les expliquer mais mettre en évidence leur processus de production. 

    Ce programme de recherche se matérialise également dans des textes portant sur la façon dont se sont déroulées au jour le jour des enquêtes célèbres. Les intentions peuvent être simplement documentaires (Peretz, 2004), mais elles peuvent également viser à reconsidérer la portée des ouvrages. Ainsi dans une série de livres et d’articles, âprement discutés, l’anthropologue Derek Freeman a-t-il reconstitué le parcours de recherche de Margaret Mead dans les îles Samoa en 1925-26 (Freeman, 1983). Il en tire le constat que la célèbre anthropologue avait un schéma préalable en tête et qu’elle a orienté son travail de façon à voir ses idées (la liberté sexuelle des jeunes filles notamment) confirmées. 

    Ces deux exemples sont des livres faciles à lire et peuvent constituer des incitations à se pencher sur l’histoire de la discipline. Les raisons pour un doctorant d’être sensible à cette perspective sont multiples et l’une apparaît immédiatement : réfléchir à ce que l’on fait quand on pratique la sociologie. Seul un regard sur ce qu’ont réalisé les autres chercheurs peut nous permettre de sortir des influences implicites ou explicites (de notre université, de nos maîtres à penser, des modes du moment, etc.) pour élaborer notre propre manière de travailler. Mais il y a d’autres raisons de réfléchir en historien de la discipline que je vais aborder rapidement. 

    III.  Eviter les fausses découvertes  

              La première et la plus évidente de ces raisons tient au risque de découvrir ce qui a déjà été dit. La tendance des doctorants consiste en principe à regarder les textes les plus connus, les plus discutés ou les plus récents sur le thème qu’ils étudient. De cette manière ils sont souvent conduits à répéter les mêmes questions et les mêmes problématiques. Mais aussi et surtout, cette tendance rend aveugle à des intuitions ou des faits qui ont été exposés par une génération plus ancienne de chercheurs ou par des auteurs trop peu lus. On ne répétera jamais assez le conseil de lire large mais aussi de se donner un champ d’investigation ayant une certaine profondeur historique. Si l’idée que nous croyons avoir dégagée seul s’avère déjà connue, l’effort de recherche ne peut que s’en trouver stimulé. Le chercheur devra se demander pourquoi et comment d’autres sont arrivés aux mêmes conclusions et quelles pistes on peut leur emprunter pour aller plus loin. 

    Cet argument en cache un autre, moins facilement visible. Lire des textes anciens ou peu connus sur notre sujet peut nous aider à mettre au jour des idées de valeur qui n’ont pas été suivies. Lire attentivement les textes classiques peut de même nous permettre d’utiliser des faits cités qui ne correspondent pas à ce que l’on retient habituellement du livre. Les étudiants qui ne lisent pas les textes originaux passent à côté de l’usage personnel et créatif qu’ils pourraient faire de textes lus trop rapidement avant eux. Par exemple, une lecture attentive du classique de Bastide et Fernandes sur les relations raciales à São Paulo (Bastide et Fernandes, 1955) révèle non seulement que les deux auteurs ne sont pas d’accord sur certains points cruciaux, mais encore que Bastide apporte des éléments contraires à la thèse finale qu’il retient.  

    Lire attentivement des textes anciens permet aussi de remarquer l’existence d’idées qui préparaient le terrain à d’autres plus connues. Je prendrai un seul exemple. Dans son ouvrage classique sur l’hôpital psychiatrique Goffman donne l’impression de jeter un pavé dans la mare (Goffman, 1968). On ne voit pas bien si l’on ne connaît pas le sujet que des textes précédents arrivaient à des faits assez proches (mais sans le talent d’écriture ou la profondeur d’investigation du sociologue canadien). Ainsi l’ouvrage de Goffman empêche de saisir l’apport de Kirson Weinberg, William Caudill, Paul Barabee Alfred Stanton et Morris Schwartz (Weinberg, 1970). 

    IV.  Les plus récents n’ont pas forcément raison 

              Concevons ici encore l’intérêt pour l’histoire de la discipline comme un effort de lecture en largeur et en profondeur historique. Lire des textes anciens oblige à rompre avec l’idée naïve de l’existence réelle d’une cumulativité en sociologie qui se manifeste par le principe implicite que les « plus récents ont forcément raison ». Or c’est faux : les recherches les plus récentes n’intègrent souvent que très partiellement les travaux de leurs prédécesseurs. Certains sont écartés pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le progrès de la science : motifs politiques, idéologiques, mauvaise volonté à comprendre des auteurs d’une autre époque, voire tout simplement paresse de lecture. Seul un minimum de connaissance des mécanismes à l’œuvre dans le milieu aux différentes époques où des textes sur notre sujet ont été produits, permet de voir correctement ces choses. Pour comprendre ce qui est dit à l’heure actuelle sur notre sujet, il ne s’agit pas de supposer que « la science a avancé », il faut dans l’idéal procéder à une sociologie de notre champ d’étude pour comprendre comment certaines idées triomphent et d’autres sombrent. Toujours au sujet de la sociologie des relations raciales au Brésil, on a pu constater que l’oubli quasi complet des idées de Donald Pierson en matière de sociologie des races au Brésil doit peu à leur qualité intrinsèque et beaucoup au fonctionnement de la profession dans les années 1950-1960 au  Brésil (Brochier, 2011). Quelques notions d’histoire de la sociologie nous montrent facilement que les auteurs dominant à une époque donnée essaient en général de donner l’impression qu’ils ont dépassé les travaux anciens ou que ceux-ci sont datés et peu utiles. Souvent il n’en est rien. Les meilleures idées sont parfois celles qui ont été reléguées et oubliées. Des textes profonds sont  négligés car leur auteur n’est plus à la mode ou a perdu de sa notoriété. 

     


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  • Christophe Brochier Comprendre et pratiquer la Sociologie ; (éditions Armand Colin, 20015, 253 pages)

     

    Vient d’être publié un  manuel qui  sera  utilisé  par les jeunes enseignants qui font de l’initiation, la pédagogie « primaire »  des  amphis de première année: publics  hétérogènes, pas forcément intéressés auxquels  il faut donner une première idée notamment s’ils sont là par défaut, sans vocation véritable,. Mais d’autres publics  l’apprécieront. Tels des chercheurs débutants. Partant  du constat que les usuels,  les guides ne sont pas  véritablement écrits pour les  novices décalés  par  rapport à la masse de savoirs :le postulant est  souvent l’oublié des  auteurs  de dictionnaires ou d’abrégés ; ce manuel évite  la sophistication comme si une génération à 20 ans pouvait faire ses preuves à la suite de quelques  « Précis de méthodes ». Le premier contact  déroutant,  l’auteur l’éprouva, à 25 ans, après d’autres études et  aujourd’hui en tant  qu’enseignant, il écrit  l’initiation à la recherche qu’il aurait aimé  lire. Ces conditions  font de cet ouvrage une sorte « d’anti-manuel », à l’écriture familière. Brochier  met en garde contre le choc de l’érudition. Il  adopte une approche pragmatique, sans terminologie absconse. Cette sociologie est accessible  au commun  des lecteurs puisqu’elle inclut des exemples de la vie ordinaire. Il s’adresse  directement aux jeunes  peu sûrs d’eux. Bonne  surprise, Brochier annonce, tout de go, qu’il vise  également un public  hors cursus ; celui qui fait de la sociologie  par   détour de questions posées  dans  des études  ordinaires. Son constat  est imparable : il faut  redevenir « transversal » si on veut demeurer une discipline universitaire à part entière. L’affaiblissement  des effectifs en sociologie a  été provoqué  par   l’absence de professionnalisation large. En revanche, sera  ressenti   le besoin   d’une culture orientée vers des problèmes sociaux qu’ils soient  caractéristiques d’un métier  quelconque  au secteur  étendu. Domaines où, en crise d’effectifs, des enseignants variés, tentent    de s’affranchir de la sociologie  normative et dogmatique tout en  prenant conscience de leurs  propres préjugés quand ils pratiquent une recherche quelconque. Si d’emblée, l’auteur prend acte de l’affaiblissement de la  composante académique, il  évite la fusion de la sociologie avec les autres disciplines du « social ». Destinée commune à la géographie humaine, la démographie historique, l’anthropologie sociale.  Il  avertit que  le contact avec des publics  diversifiés sera notre avenir  et qu’il  se fera en une  ou deux  années, avant une bifurcation. Dès lors,  un  jeune âge est particulièrement  choisi pour acquérir  de bons « réflexes », les  généralités et  les démarches élémentaires. L’auteur est persuadé  que la sociologie contemporaine,  si elle « meurt » sous sa forme  institutionnelle  (agrégation,  doctorat), au même moment  renaît sous une demande « autre » qui explose. Peu de cursus ou de spécialité n’y font pas appel que ce soit dans un cours,  un jury, un article. La sociologie  diffuse  sa réflexivité autant en sciences dures, droit,  journalisme, administration, sciences politiques que dans la culture médicale, les  études de gestion, communication, arts, architecture etc. Elle concernera  ceux qui  cherchent un sens à  leur action, une  conception de l’influence du contexte professionnel,  des interactions entre milieux de  travail. Même les mathématiques, les  Ecoles d’ingénieurs cherchent le moyen d’évaluer  leurs déterminations exogènes, leur impact propre, la prise en compte des choix  de décision ou l’influence des réseaux. Or, là nous sommes  compétents pour  aider ces formateurs   à réfléchir à leurs conditionnements. De nombreux diplômes souhaitent donner à leurs candidats, des conseils de rédaction lors de rapports de  stages, de petites enquêtes,  de notes d’observation.  C’est pourquoi, les grands thèmes explicitement abordés et longuement discutés sont le chapitre 4 :« le travail et les organisations » en incluant les institutions,  l’usage des documents professionnels et   des statistiques. Avec le Chapitre 6 : «Rédiger un rapport d’enquête », on a presque  une moitié du contenu d’un ouvrage  proposant explicitement à des jeunes gens l’aide à l’écriture, quand, à la sortie d’une expérience, ils  octroient une dimension sociologique à leur réflexion de jeune citoyen. Or, cette demande diffuse risque de se réaliser sans nous.  Une orientation basique  est donc un juste objectif. Pas forcement  une sociologie au rabais,  ni « pour des nuls » !

     

     Emanciper les jeunes postulants venus de publics différents, de leurs préjugés n’oblige pas à s’aligner sur de grandes théories ou des méthodologies incontournables, mais  plutôt sur  la culture générale de notre métier.  L’auteur  en souplesse  rassure les candidats. Il  leur dit:« si vous prenez cette voie,  cette démarche, voila où vous irez... ; si vous prenez  telle direction, vous arriverez là; avec telle donnée, à tel résultat.  Aucune n’est mauvaise en soi, ni  erronée ». La qualité finale sera    testée dans le volume des faits produits, de la qualité  d’exposition, de la force des vérifications (entretiens, observations,  questionnaires, statistiques, documents  historiques).  Il fait crédit donc à une autodidaxie graduellement acquise à travers des  errements inévitables. Sans jamais l’évoquer l’auteur  sait  de quoi il parle. Dans sa filière initiale d’Ecole de Commerce et de Gestion, il dut s’adapter à un environnement  étranger, quand  pour son diplôme –  après un stage  en  entreprise au Brésil- où il apprit la langue - il  rédige  un rapport  relevant de la société brésilienne. Il décide  alors à son retour à Paris de s'engager dans le cursus officiel de  notre discipline. C’est  pourquoi   il  met son expérience au service de ceux qui pour conclure  un stage, une  enquête, un rapport de recherche ou  bien un Master, doivent écrire un texte  à  dimension sociale,  sans y avoir  été préparés . Toute la dernière partie  est consacrée en conseils  d’écriture après une enquête en milieu  difficile. En apprenant en quelques mois à réaliser une observation participante de sociologie du travail  avec une équipe d’ouvriers du bâtiment à  Rio, il annonce ses autres enquêtes  (enseignant dans une favela,  cadre d’entreprise en France,  où il  manifeste l’égale nécessité du travail sur archives, l’histoire des  institutions, l’enquête  statistique  et devient un rare  sociologue français écrivant une histoire de la sociologie brésilienne. Voulant attester que l’innovation n’a pas de bornes et qu’il reste d’immenses terrains en France inconnus, il devint dans un de ses meilleurs textes, prémonitoire des accidents mortels à venir, un cobaye des tests  thérapeutiques de médicaments, un « métier »   méconnu ([1]).   

    Dans les exemples d’enquêtes réussies  où il ne se met aucunement en scène  se citant à peine en bibliographie  qu’il recense,  il suggère en tant que  chercheur erratique  des voies de sorties,  grâce au sens de l’invention   méthodologique, de l’adaptation à de milieux  variés. Si on y ajoute les conseils pour une écriture simple, cela   parlera fortement  aux  étudiants actuels.  C’est pourquoi, finalement il a décidé de faire,  non pas un guide   impératif,  mais un livre « de raison » pour de futurs professionnels sociologues ou non, tous enclins à la curiosité sociale. Aider les étudiants « étrangers » »  à notre discipline et,  réussir ainsi  la mutation nécessaire de la spécialisation vers une culture générale ouverte à la curiosité moderne et à la mondialisation,  tel est l’ objectif original  qui ne pouvait avoir été écrit que par un collègue au parcours peu typique.

    Pour saisir son intention, le mieux est de commencer à le lire par la fin : le chapitre 6  donne l’idée  subtilement avancée. Puis, que le lecteur, s’il accroche, revienne à l’introduction et lise ensuite au gré de l’humeur ou de sa préférence personnelle puisque les chapitres sont  quasiment indépendants. Ainsi  le  Chapitre 1 « le mode de raisonnement de la sociologie » évoque le rôle et la force  de l’erreur, la relativité des données ; par contre le chapitre 3  dénonce  les concepts  discutables et discutés, produits d’une approche  rigide, alors que dans le chapitre  2 :  les «erreurs courantes »  sont partie inéluctable de problèmes  mal posés au détriment de vraies solutions . Ce  qui annonce le Chapitre 4 : « Quelques concepts et leur usage  où en praticien astucieux  il offre  une approche peu hiérarchique et peu conventionnelle  (250 auteurs de la bibliographie incluant  quelques rares noms  célèbres et surtout de bons praticiens ou  des non-sociologues). Il laisse voir le risque d’idéaliser les directives  de méthodologie sous-tendant une spécialité très originale : « le social », les connaisseurs du « social », avec carrière attachée à  une sorte   d’extraterritorialité. Par contre, si  on doit s’approprier un pan de la réalité, du monde du travail ou autre,  il propose, exemples à l’appui, de « ne pas se demander pourquoi mais comment ». Quand  il encourage à l’enquête des jeunes gens, il  les incite à rechercher des éléments  qui semblent avoir de nombreux points communs mais dont   on doit  comprendre  en quoi ils diffèrent,  menues différences à partir desquelles  on élabore  de nouvelles dimensions explicatives. Tache exaltante mais exigeante dans le cadre d’un travail de terrain.  Ces expériences  riches, il les  décrit dans  8 grandes enquêtes  exposées méthodiquement dans le chapitre « Rédiger un rapport d’enquête ». L’apport des données reconnues  qu’il emprunte à des collègues en évitant -humilité ?- de parler des siennes, suscitera des vocations en sociologie du Travail. Les idées créatrices sont coûteuses en  efforts et en durée, mais « ça vaut le coup », semble –t-il dire  aux jeunes recrutés.

     



    [1] J’ai utilisé son observation  des tests pratiqués sur les humains.  Un terrain   peu conventionnel qui surgit ces jours-ci dans l’actualité.  Les accidents thérapeutiques ne sont pas rares, ainsi que l’éprouvent des milliers de jeunes gens désargentés ou  chômeurs


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      Manifeste en faveur des ouvriers et employés             français et immigrés

     

    L’auteur et ses amis pensent que ce texte devrait servir à la discussion. Prenant acte de la « disparition » de la classe ouvrière dans la vie politique malgré qu’elle comptât encore 8 millions de manuels répartis dans les usines, les bureaux, productifs des transports, des services, retraités ou chômeurs,  subalternes, oubliés de la croissance, abstentionnistes non par dégoût mais par absence de compréhension de leurs revendications, les signataires de ce manifeste proposent une justice authentique, non brouillée par 50 ans de consensus  sur  les droits de travailleurs

     

    Ouvriers ! Pas de salaire net de moins de 1600 euros. Il est indigne de vous le refuser ; il est indécent même d’en discuter.

     

    Exigeons considération de la véritable pénibilité sur la base d’un coefficient incluant le taux par profession d’accidents du travail, de handicaps, de fatigue de déplacements quotidiens. Il est impératif de prendre   en compte l’altération précoce de la santé en vue d’un abaissement substantiel de l’age légal de la retraire.

    Exigeons la connaissance entre d’un côté, la participation à la couverture sociale, par les cotisations et prélèvements et de l’autre, les indemnités, remboursements et rétributions reçus par chaque grand groupe social : populaires, petite et grande bourgeoisie , classes moyennes aisée ou modeste. Il est indispensable de poser la question du coût et du profit de l’assurance sociale pour chaque catégorie, selon la durée de cotisation,  la longueur de vie sachant que ces facteurs sont déterminants dans le coût médical par origine sociale, des malades ou des pensionnés . Divers biais minimisent le différentiel des dépenses en fonction du revenu et du patrimoine. Par exemple le refus de l’euthanasie opposé aux classes populaires qui la demandent, accroît les dépenses involontaires et inutiles à leur santé, refus qui génère d’immenses profits hospitaliers et pharmaceutiques, bonheur des corporatismes et de l’industrie médicale au détriment de la santé et des intérêts des classes populaires

     

    D’où parlons-nous pour interpeller les candidats ?  Nous sommes des ouvriers, des employés et des intellectuels, nous sommes fils, frères ou pères d’ouvriers. Nous côtoyons les prolétaires quotidiennement et disons comme un révolutionnaire célèbre :

     

    « Nous avons vécu assez longtemps parmi eux, pour être informés de leurs conditions de vie ; nous avons consacré, à les connaître, la plus sérieuse attention ; nous avons étudié les différents documents, officiels et non officiels, que nous avons eu la possibilité de nous procurer ; nous ne nous en sommes pas contentés. Ce n’est pas seulement une connaissance abstraite de notre sujet qui nous importait, nous voulions les voir dans leurs demeures, les observer dans leur existence quotidienne, parler avec eux de leurs conditions de vie et de leurs souffrances, être témoin de leurs luttes contre le pouvoir social et politique de leurs oppresseurs. Voici comment nous avons procédé ; nous avons renoncé à la société et aux banquets, au porto et au champagne de la classe moyenne et nous avons consacré nos heures de loisirs presque exclusivement à la fréquentation des simples ouvriers ; nous sommes heureux et fiers d’avoir agi de la sorte »

      A défaut d’écrire un grand livre politique, comme le jeune homme de 25 ans, Fr. Engels dont nous citons l’exergue (qui date de 1845[1][1]), nous en transposons les idées essentielles et le caractère crucial d’une alliance ou non avec les classes moyennes intellectuelles :

     « Grâce aux vastes possibilités que j’avais d’observer simultanément la classe moyenne, votre adversaire, je suis parvenu très vite à la conclusion que vous avez raison, parfaitement raison, de n’attendre d’elle aucun secours. Ses intérêts et les vôtres sont diamétralement opposés, bien qu’elle tente sans cesse d’affirmer le contraire .Ses actes démentent ses paroles».L’ironie mordante du jeune Engels doit être tempérée puisque la crise actuelle touche aussi les enfants, des classes moyennes aisées.

     

    « Mais quels que soient vos futurs alliés, Ouvriers et Employés, vous avez raison de proclamer la spécificité de votre situation et le rattrapage nécessaire de 30 ans d’injustice et de cadeaux faits à d’autres par l’Etat. Vous aurez raison de demander ces enquêtes que l’on nous interdit au sujet des avantages et inconvénients de l’universalisme des avantages sociaux dans un monde aussi inégalitaire dans l’accès aux droits e dans la prétention de les exprimer. Cette crise ne vous ouvrira aucune perspective, ni droits ni rattrapage ; et c’est même probablement le contraire qui s’annonce avec la prochaine élection, quelque en soit le résultat, tant votre voix autrefois puissante s’est éteinte. Dans ce cas : refusez de payer pour les autres. Ou alors exigez le contrôle des dépenses qui creusent les déficits dans votre dos et dont on vous demande ensuite de réparer les dégâts. Exigez un minimum salarial de 1600 euros. Faites-en le plancher de toute négociation raisonnable. Demandez ainsi simplement le droit de survivre avec votre famille avec 50 euros par jour. Dans cette exigence quelle place accordez vous à une alliance avec les intellectuels ? Aucune !

     Réclamez un retournement en votre faveur  de la Providence de la part l’Etat : qu’il soit aussi généreux pour les plus modestes qu’envers les classes supérieures et moyennes. Il est temps que la Providence détournée de son effet originel (le système fut équitable jusque vers 1970) change de sens. En effet, Ouvriers, qui profite de l’assurance maladie, le plus longtemps et le plus coûteusement ? Qui bénéficie des retraites les plus élevées et sur la plus longue durée (dix d’écart par rapport à vous) ? Qui exploite au plus haut degré l’assurance chômage par le taux des indemnités ? Une partie des cadres et des professions supérieures !

    Vous le savez ! Vous connaissez intuitivement les différences de profits qu’il y a à tirer des Caisses que vous ne gérez pas (sauf par bureaucrates interposés, professionnels non contrôlés). Vous vous méfiez des principes consensuels affichés en votre nom à cors et à cris. Le problème de la dette à payer ne vous concerne pas ; restez–en spectateurs. Les classes moyennes auront besoin de votre participation pour renflouer les caisses du déficit. Abstenez-vous de les aider sans contrepartie de leur part ! Persistez dans votre retrait du vote, de la « manif » ou de la mobilisation manipulée par des tiers.

     

    La lutte interne à la bourgeoisie

     

    Vous ne l’ignorez pas, Ouvriers, le jeu se déroule sans vous, le bal dont vous êtes exclus se danse à quatre.  Deux fractions de la grande bourgeoisie et deux fractions des classes moyennes riches s’affrontent maintenant que les comptes sont à apurer. Que de tensions entre ceux qui vivent avec 500 euros par jour et ceux qui en dépensent 1000 par jour. Mais cette rivalité intestine ne départage pas les revenus et le patrimoine seuls. D’autres facteurs culturels, idéologiques, fractionnent les deux grandes classes qui dominent le pays. Et ces fractions ne s’allient pas automatiquement avec leurs homologues de fortune ou de position ; des clivages religieux, politiques, historiques fabriquent des alliances, des combinaisons ou bien alors mènent à des luttes fratricides. On voit tous les jours ces combats au sein de l’UMP, et au sein du PS. Ouvriers, vous savez par les débats dits « d’actualité » et  au travers des « problèmes » déclarés d’intérêt national par les médias, radio-télés et presse, dans leurs mains, combien les tensions s’aiguisent entre ces fractions. Vous savez combien leur rivalité s’accroît à mesure que la grande crise qui a surgi les touche pour la première fois depuis la guerre. Les débats de société qu’on vous impose (et qui excluent ceux de la condition ouvrière évoqués par Engels il y a 150 ans) sont là où leurs « intérêts » sont en jeu ; ils déchirent le voile de leurs accords de façade alors que tout allait bien.

     

    I La Bourgeoisie manifeste quotidiennement ses divergences internes. Depuis les années « Giscard », elle est divisée en deux camps ;

     

    A La vieille bourgeoisie nationale, socialo-catholique ou protestante, puritaine, économe, parfois mesurée dans l’exploitation de ses travailleurs. Cette fraction fut l’ossature du gaullisme social dont le sens patriotique et du progrès valorisait le travail industriel, l’indépendance nationale. Cette fraction existe toujours mais depuis la disparition de De Gaulle, elle s’efface et se tait.

     

    B La nouvelle bourgeoisie des affaires et de la finance est sa sœur cadette. Elle est spéculative, affairiste, cosmopolite. Elle se dit « moderne » et c’est vrai qu’elle emboîte le pas à ses homologues anglais et américains. Arrivée sans effort, sans tradition de l’Etat, elle s’exhibe jouisseuse, hédoniste, le plus souvent dilettante dans les emplois qu’elle s’octroie à la direction des grands groupes et du service d’Etat. Mais elle possède une armée de serviteurs titrés, aux aptitudes inépuisables, qu’elle recrute dans les classes moyennes passées par les « Grandes Ecoles »

     

     II Les classes moyennes riches sont les parvenues des trente dernières années ; elles se divisent en deux également.

     A) Ses éléments les plus récents sont fascinés par la bourgeoisie sans scrupules qui les domine. La classe moyenne riche a hérité, a peu travaillé, vit en partie de ses rentes, a eu éphémèrement un emploi. L’euro est sa monnaie bénie puisqu’il l’a prodigieusement enrichie durant ces dix dernières années en raison de la stabilité des taux et des prix. Pas d’inflation pour éroder son capital.  La spéculation boursière put se déployer en son sein et ses diverses facettes, bobos, écolos, jeunes socialistes cessèrent de travailler dans l’univers de la production pour préférer celui des services publics, du tertiaire ou vivre de rentes et de l’embauche assistée. D’où, Ouvriers, cette guerre civile au sein de classes moyennes que vous observez de loin, amusés.  Une guerre civile, vous le devinez, au sein de laquelle on se déchire au sein des repas de familles, des réunions d’associations ou de discussions entre cadres. Professionnels de la fonction publique s’opposent aux agents du privé. Malgré une origine familiale commune, des contradictions internes aigrissent les relations d’amis, de parents ou d’héritiers. La divergence et la nature des fortunes et des patrimoines, que ce soit la banque ou la Bourse, que ce soit le travail de cadre, altèrent la cohésion traditionnelle des classes moyennes riches et la solidarité a volé en éclats. Des formes d’exploitation familiale y apparaissent ainsi qu’on le voit dans les relations propriétaires- locataires d’un patrimoine immobilier hérité.

     B) L’autre petite bourgeoisie établie par le travail et non par la spéculation est besogneuse, n’aime pas l’exhibitionnisme de sa sœur aînée. Mais au moment où elle veut profiter à son tour de l’enrichissement national, placer ses enfants, les ressources manquent et les portes de l’embourgeoisement se ferment. La crise affecte son avenir, mais pas encore son présent. Sa sœur dont nous avons parlé pus haut se moque en revanche de sa descendance à qui elle assure néanmoins des rentes substantielles dès lors que celle-ci se tient tranquille comme une jeunesse entretenue doit savoir le faire.

     Les alliances et les compromis entre ces quatre fractions varient selon le sujet et la position de l’indice Boursier ou des chances du maintien dans l’euro. Quand se rapproche le moment des règlements de comptes, la musique du bal grince, le quadrille se défait, les tensions agitent les danseurs et nous avons de révélations stupéfiantes (Bettancourt, DSK, Cahuzac) sur leur niveau de vie, leurs affaires, leur fuite devant l’impôt. 

     Les factions rythment leurs ententes à 2 contre 2 ou à 3 contre un. Ces combinaisons sont constitutives de la politique nationale : les divergences se manifestent par exemple au sujet du problème scolaire, de la place de l’école publique, de sa fonction autoritaire ou indulgente. La bourgeoisie nationaliste et une frange de la classe moyenne souhaitent que l’école traditionnelle retrouve son rôle éducatif directif et sévère. Mais les autres fractions se fichent pas mal de cette question ; elles ont leurs enfants dans le privé ou à l’étranger et ne voient pas d’urgence à préserver l’enseignement public d’un découragement ou laxisme.

     

    -Le soutien financier à l’art et à la culture, immense source d’emplois pour la petite bourgeoisie cultivée, est une autre question génératrice de clivages pour les classes moyennes riches ; sur ce thème-là, d’ailleurs, en harmonie avec la bourgeoisie spéculatrice. Beaucoup de ses enfants aux diplômes universitaires vagues, sans réelle formation, n’auraient de chance de trouver un emploi gratifiant si le domaine illimité de l’art protégé et de la culture assistée ne les sauvait provisoirement du chômage.

     -Sur la dette, une autre configuration apparaît parmi le groupe des quatre. Après l’avoir niée, puis l’avoir minimisée, la bourgeoisie dispendieuse tente de se rapprocher de sa rivale pour sauver l’essentiel : le libéralisme menacé. Les classes moyennes riches restèrent sur la position que toute révélation de déficit ou de menace de faillite est une pure fiction, dangereuse à manier, et qu’un seul mot doit être entendu : « La croissance » ; croassement magique chanté par maints oiseaux de bon augure ayant leur couvert mis tous les jours dans leurs médias ! 

     Dans ces luttes internes, Jeunes Ouvriers et Employés, on voudra vous enrôler pour aider telle ou telle faction ; si vous acceptez de prêter votre concours (votes, actions de force, mobilisations de rue), demandez le prix pour cette collaboration ; veillez aux engagements pour vos familles et pour vos enfants qui veulent retrouver une école responsable et rigoureuse, y compris sélective mais égalitaire.  Surveillez l’usage des fonds publics venant de l’impôt ou des cotisations sociales ; maintenez vos élus syndicaux ou de partis sous la pression de votre surveillance. Bref organisez-vous comme vos pères le firent. Défendez vos Droits, ainsi qu’au cours d’une longue tradition, vos ancêtres le firent.

     

     

     

     

     

     

     

    PROGRAMME  IMMÉDIAT

     

     

     

    Dévoiler l’inégalité engendrée par la théorie de l’égalitarisme et ses dégâts en santé, scolarisation, perte de pouvoir d’achat par les prélèvements obligatoires a u profit de ceux qui savent se servir du service public

    : Les solutions que personne n’osera  avancer :

    Plafonnement salaires et retraites de fonction publique

    Progressivité de tous impôts et des TVA (sur produits de luxe)

    Prélèvement de la sécu en fonction du patrimoine et remboursement maladies inversement proportionnel aux revenus 

    Pas de retraite supérieure à 4000 euros en raison des avantages acquis au cours de la vie de travail (non pénibilité, faible taux d’accidents, faible exposition aux pollutions industrielles...)

    Nationalisation des biens des exilés fiscaux. Ceux qui ont confondu Néchin avec Coblence doivent risquer ce que leurs prédécesseurs émigrés ont encouru de l’Assemblée 

     Les questions que personne n’ose poser :

    -La disparition des ouvriers dans les instances de direction : partis et Parlement ou gestion villes et même syndicats  dans les mains de professionnels

    -Le pillage du tiers monde par aspiration de leurs capitaux de bourgeoisies locale exploitant à un haut degré leurs peuples, dont ils nous rendent complices en finançant nos dettes

    -L’impossibilité de faire des enquêtes nominatives sur les usages  différenciés des services de l’Etat social  depuis les caisses d’assurances- maladies, des fonds  de pensions , Assedic ou autres. Barrage syndical à la levée du secret des répartitions inégales et paiements de compensations favorables aux plus privilégiés

     

     



     


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  • Les  émigrants noyés : Premier Mai =les records sont faits pour être battus

    Depuis le 1er janvier 1232 noyés en mer

    Record d’indifférence et de mépris pour ces Non Européens

    Nous tiendrons ici scrupuleusement  et régulièrement  le compte des noyés

    Pertes et profits  pour les peuples chrétiens

     Bonne soirée!


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  • Retour de Calais  

    Compte-rendu pour les amis

     

     Présent à Calais du lundi 25-3 au Vendredi premier avril

     

     

     

    1 Le camp

    2 Les discussions, le travail des associations

    3 L’analyse de la situation : les 3 émigrations, les trois origines  géographiques  

     4 Questions  pour l’avenir. Alternative à la soumission étatique  et à l’anarchie

    I  sensations  Première vision,  cocasse ; pour aller à la « jungle » je suis le défilé des migrants qui retournent de la ville par petits paquets ( de 3 ou 4). Ils se suivent les uns derrière les autres. On ne peut pas « manquer le train » même si comme moi on situe mal le camp sur le plan. Donc leur emboîter le pas en parfait anonyme. Un groupe de deux Syriens et deux Soudanais  finalement m’associe à leur marche. On parle avec les mains et un sabir arabo-anglais. Première évidence : ils fuient la guerre (toutes les guerres de leurs pays ). N’ont pas envie de mourir et se battre pour une quelconque idéologie.  Je leur parais crédible car ils se confient, je crois sincèrement.  Je les retrouverai un autre jour dans le camp, me sourient, m’appellent  le « teacher » ( car j’ai en bandoulière ma serviette de prof avec papiers, carnet de notes, plan) ; et que j’ai  voulu initialement  entrer en contact avec « l’école »  du camp  . Il me semble que ce surnom me restera les autres jours où je serai connu comme le prof. Tout ça,  dans la bonne humeur et les souvenirs : le Messie de Haendel a été joué là, à Noël

     

                La  deuxième vision est par contre effrayante, une fois la route nationale quittée,  les deux fourgons de CRS  à l’entrée, passés, vue cauchemardesque : un terrain de 4 ou 5 hectares  labourés comme un bombardement ; plus l’action incessante des  Bulldozers , pelleteuses et camions  qui nettoient les  cinq cents « habitations » avant  l’expulsion de la Zone nord ;  serrement de cœur quand, dans les débris, on voit des poupées d‘enfants, un ballon de foot , des habits broyés ou salis, outre un peu de matériel de cuisine traînés   qui demeure après l’évacuation. Je  m’approche de la seule cabane : les écoles (deux minuscules « salles »)  où un cours d’anglais  se déroule.  Les panneaux d’indications et les programmes tous en anglais. Je crois voir sur un tableau  une proposition de cours d’art ! La bibliothèque qui devait être garnie avec rangées de livres  brinquebalantes,  sans toit étanche,  maintenant est livrée au mauvais temps([1]).  Pensée pour Victor Hugo dont on lit la célèbre  sentence esquissée au pinceau « Une école qu’on ouvre, c’est une prison qui se ferme » !  Bref, un déluge d’impressions contradictoires. Dans la partie sud du camp qui résiste, le conglomérat de baraques dites « jungle »  me rappelle étrangement ce que les colons appelaient en Algérie, les villages nègres, c’est à dire  les bidonvilles, gourbis des quartiers indigènes à la sortie de la ville européenne.  Ou encore les villages de regroupement en  préfabriqué pour les expulsés des douars. Comme dans des bidonvilles, d’abord : le sentiment absolu de sécurité !! Rien de menaçant, aucun regard méfiant, en dessous,  aucune  interpellation menaçante,  aucune entrave à mes mouvements. Me sens plus en sécurité que dans les  rues de Marseille ou de Grenoble ([2]) Anarchie des « constructions » de fortune avec des rues au sol  boueux, quoique « propre » ;  sauf les ruisseaux recèlent des détritus. Pas d’odeur  nauséabonde non plus : (toilettes sèches). Immensité et  pauvreté des lieux,  la taille  du camp, même réduite de moitié,  correspond à un ghetto  de 6000  hab. Seuls subsistent quelques commerces et  « bistrots », façon squats, c’est à dire bricolés à partir de « rien ».  Sous les tentes ou les baraques, on aperçoit  un réchaud, une caisse comme    table avec des verres, Les rejets de notre société  servent là, ad minima, transformés par de gens inventifs. Peu de bruit : pas de musique arabe ou noire, pas de  haut parleur  (au café,   en sourdine,  table bancale,  minuscule espace). Population  beaucoup plus jeune que je ne le pensais ;  impression d’une majorité des moins de 25 ans ; ils ne mendient pas, ne se plaignent pas. Le camp est leur famille : ils se visitent,  silencieux   de baraque à l’autre, sans trop se mélanger (trop de nationalités différentes ?).Ils vivent en petits groupes  par affinités et non entièrement par nationalité. Ethniquement, on devine trois émigrations : le Moyen –Orient, l’Asie ( Pakistan, Afghanistan, Caucase, et en partie Inde) , la corne de l’Afrique avec ses Egyptiens et ses Noirs.  Pas d’uniformité, pas d’habits traditionnels sauf quelques Afghans ou Pakistanais.  Pas de femmes en vue ou d’enfants, mais une fois le camp vidé, les familles venaient d’être « dégroupées » et mises dans les abris-conteners (malgré leur  réticence d’être enfermés et envoyés de force vers leur pays).  Donc une impression  pas trop déprimante, vu la jeunesse et l’absence de désespoir.  Si on salue le premier,  ils saluent, si on sourit, ils sourient en retour, si on demande un renseignement ils s’arrêtent et tentent de comprendre et d’aider. Dénuement bien sûr  mais aucune fraction des habitants ne joue la victimisation.  Ce qui frappe  cependant est entre eux la double barrière de la langue, et au-delà du mur invisible du ghetto, une aisance urbaine à circuler dans   la ville à coté (4 ou 5 Kms).  Ils la fréquentent peu,  sauf les grandes surfaces  discount. Ils  reviennent rapidement comme si le camp était la sécurité, la  matrice contre les aléas de la police. Quand  ils marchent hors du camp,  c’est  d’un pas rapide et  ne traînent pas ; quand ils parlent c’est vite aussi.  En ville,  ils ne regardent pas les vitrines de luxe  ou les commerces de mode. Ils vont visiter d’autres  compatriotes, ailleurs et paraissent toujours occupés : pas d’oisifs, bien qu’il n’y ait  probablement  peu à faire.  Pas d’attente inactive, le mouvement est l’animation incessante. Dans quels buts ?  Améliorer  l’ordinaire, trouver de menus biens en vue de son confort,  et des choses à cuisiner.  Personne  ne  dévisage l’étranger  de passage. Ils font la queue aux lieux de distribution par les volontaires,  genre « soupes populaires », qu’ils avalent vite debout.  Ambiance d’occupations sans finalité visible mais  des taches inconnues  se pratiquent. Aucun symbole,  ni nom de rue ou de direction. Tous ont l’air de s’y retrouver et chaque quartier parait avoir ses « nationaux ».  Impression d’une communauté  parmi un chaos matériel ; un maëlstrom de mouvements, une circulation incessante, bref une marche en rond 

    En dialoguant  en un sabir ou avec les rares francophones,  on apprend ou on  devine : ils veulent tous  partir en Angleterre et apparaissent sûrs d’y arriver. Donc ils  sont patients  et  déterminés. En contact téléphonique et mails avec l’Outre-Manche et avec leur familles restées au pays. Beaucoup sont des urbains, bien scolarisés, cultivés qui ont voyagé.  Si on  parle  arabe, on apprend qu’ils furent étudiants, informaticiens, agents publics, cadres d’industrie, comptables et instructeurs. L’émigration, là, serait culturelle et antireligieuse,  fuite  face au traditionalisme  de leur société, fuite devant le patriarcat et  l’anti-développement  des régimes féodaux.

    Une seule aversion  leur est commune : l’antimilitarisme ; ils détestent toutes les armées, toutes les limites de mouvement, y compris les ex-talibans, les Irakiens ou ceux venus d’Asie centrale,  après 20  ans de  combats.  Ils furent souvent enrôlés de force, battus et maltraités,  veulent échapper à tous les conflits armés. Ne veulent combattre pour aucun parti, ni clan religieux. Quelques-uns  sont des déserteurs de chez Assad ou Daesch, ont parfois été prisonniers d’un camp ou de l’autre, et cherchent à s’éloigner de cet enfer à brutalité égale.  Ils ont des ordinateurs et des portables qu’ils manipulent, assis à terre, avec un courant  alimenté  de générateurs.  Conditions spartiates dont ils ne se plaignent pas, conscients de leur chance d’avoir mis des milliers de Kms entre eux et le « front ». Ne veulent pas être pris en photos, de peur de représailles contre leurs parents.   

    Mes impressions  sont rapides  et subjectives ; donc à vérifier avant de conclure. Mais  ces rencontres, ce voyage à Calais, sont à faire à tout prix ! Sans risques mais instructives. Je ne le regrette pas  car j’ai appris en 4 jours plus qu’en 4 ans de reportages de médias

     

      II  la longue marche des associations de bénévoles et des collectifs militants. Début d’un mouvement de fond qui fera de ces bénévoles dans 10 ans, des   pionniers,   des soldats de la paix de  cette Europe-contacts qui naît ici ,voire  du futur pays: « l’Eurasie ». La sensation qu’un monde nouveau se créé là, qu’une ère  de relations avec le tiers ou le quart-monde émerge là est très forte.  En tout cas, c’est cette conviction qui m’a conduit  à mon âge à  faire des observations sur cette entreprise, hors du commun et totalement imprévue

    La foule des « assos », les volontaires locaux nombreux, un forum  de toutes sortes d’ ONG  ou petits groupes  internationaux se concentrent  sur  une étroite bordure littorale.  Des militants, partout dans le camp, avec  la même obsession ; secourir dans l’urgence. Une  intense activité, mais sans énervement et à chacune, un secteur  d’action. Souvent regroupées en plateformes, auberges, elles offrent soins, ressources alimentaires ; ces associations au fort dynamisme et sens d’inventif ont improvisé une aide en quelques mois grâce à une organisation spontanée ! Il semble régner  une égalité (entre responsables et la base ?) : est-ce le résultat de  la   jeunesse des « engagés » ? Où à l'automatisme de l’internationalisme coopératif ? (Nombreux pays représentés :40 nationalités de  volontaires  se côtoient là  depuis 5 ans). Donc d’innombrables collectifs, informels ou pas, des grandes ONG  et des inorganisés de la région,  collaborent, indistinctement,  dans une lutte anonyme, sans sigles, sans signes d’appartenance, sans moyens, sans gratifications ; avec une seule visée : être utile et  nourrir 6000 personnes tous les jours. Le sentiment d’estime et de gratitude envers tous  ces  gens dévoués, devrait être entier de la part du reste de la population  française. Une fraction de  nos compatriotes a cependant la certitude inverse. Quand je feuillette le bulletin municipal de Mme Bouchart,  la maire de Calais : deux articles  me frappent,    deux problèmes  ramenés  à une seule solution : « Eradiquez les goélands ( ils saliraient,   crevant les sacs poubelles ; déjections sur les toits ) et  éloignez les migrants. Dans un cas elle préconise la stérilisation....  des nids et  veut chasser les migrants hors de notre vue,  au  titre du projet en cours : faire de Calais, la Saint Tropez  du Nord !

    En parlant en ville avec taxis, commerçants, employés de service, on  devine que cette politique discriminatoire  gêne  bien des administrés. On ne sent vraiment pas d’hostilité forte, en tout cas aucun racisme « petit blanc ».  Les notables « excédés »  sont  néanmoins ceux qui font les  meilleures affaires (hôtels pleins, commerce apparemment pas atteint : des bénévoles étrangers, des touristes  consomment et améliorent les profits hôteliers). Ils profitent  de ça pour que l’Etat déclare la zone sinistrée,  « en catastrophe naturelle ». Le business as usual ?

     

     Dans le centre ville, peu de migrants visibles ou alors très discrets, ils passent vite de peur de la...fourrière ! Les Anglais viennent nombreux pour la journée : hôtels à eux,  une brasserie, un pub irlandais... Ce mélange est très curieux et se vit dans la bonne humeur. Impression que la solidarité internationale  a trouvé là un terrain  d’élection, un lieu de rencontre et de discussion permanente. J’ai visité un « gare » de triage de la récupération des matériaux de construction, de vêtements usagés, de nourriture, un entrepôt, non loin du port,  où s’entassent de montagnes de produits à  distribuer. Chaussures bienvenues, habits chauds recherchés.  .Les policiers   déplacent parfois des groupes de migrants qu’ils  abandonnent loin dans la nature ....et  prennent leurs chaussures pour les immobiliser.  Exclusions dérisoires car ils reviennent toujours 

    En conséquence, ce ramassage au sein de  l’Europe  procure habits, couvertures, sacs de couchage,  tentes,  outils de construction d’abris,  bois de chauffage (débiter les palettes abandonnées au port) . Intense activité autour de ces tas en vrac. Une centaine de bénévoles se relaient, l’air heureux  malgré  la rusticité  du lieu et  chacun fait sa tache sans disputes et apparemment, sans  discussions : une ruche ou mieux une fourmilière où chacun sait parfaitement ce qu’il doit faire et le réalise sans s’arrêter, sans bavarder, sans gêner les divers déménagements.  Des équipes d’Anglaises (à première vue : jeunes filles de 20  à 30 ans, motivées, concentrées) vivent sur l’entrepôt  dans des petites baraques ou caravanes installées là. Propreté malgré la vétusté.  Au sein de ce chaos, on pressent  une logique de fraternité, et  de liberté par l’action. Un ordre de l’efficacité règne sous le désordre.  Impressionnante conviction qui se dégage du fait de l’énergie de la jeunesse inébranlable (recommencer toujours et toujours ce que notre administration et  police démolissent). Les Anglais viennent, me dit-on, par roulement de 15 jours en aide intensive. Partout, on entend plus d’anglais que de français ou d’arabe (manque des traducteurs malgré des bénévoles africains). Une authentique Internationale en faveur des damnés de la terre de Calais!

    Qu’il n’y ait pas beaucoup de  nos compatriotes, hors les  volontaires de la région, est regrettable. On ne voit pas d’étudiants,  militants de nos universités. Pourtant observer ce  cas d’école de concentration  de bonne volonté  et de collaboration extranationale serait unique. On rencontre de nombreux jeunes journalistes free-lance, photographes, cinéastes ; quelques thésards étrangers  recueillant des documents. Une mémoire à construire ? Je le souhaite comme de trouver le futur mémorialiste de cette épopée qui  symbolisera longtemps, un moment de l’histoire de l’Europe et de l’Asie-Afrique

    Insolites, des convois de camions viennent de l’Europe entière et débarquent leurs marchandises . Une  fois  les Belges arrivèrent avec 40 véhicules  emplis de tous les résidus  de la société de consommation (incongruité des contenus: parfois des sous vêtements  féminins ou de luxe !)   Bien sûr  geste maladroit et involontairement « provocateur » pour des  hommes depuis longtemps  coupés des femmes. Au passage : comment fait-on pour qu’une cohorte   de 5000 jeunes gens  se contrôlent,  soient en tous points respectueux de l’autre sexe, ne le  dévisage pas, ni ne pratique invites, ou  allusions douteuses ; bien entendu  des maffias, (Russes ? très présents en ville de Calais à l’affût d’affaires)  ont  installé un bordel de « campagne »,

    On présumera que la  retenue de la part de milliers de jeunes gens coupés de relations féminines, n’est pas uniquement   due à l’appréhension  de l’expulsion mais, je pense,  plutôt à leur culture familiale, une relation  moderne  entre jeunes des deux sexes : On  signale quelques  viols aussi.. par des CRS !). Quand on  sait  la violence sexuelle exercée par nos soldats  durant les guerres coloniales  –où celle, actuelles, des soldats  des forces d’interposition ONU, au Mali, République centrafricaine ,on ne peut   qu’apprécier la différence de mentalité et  une distinction  native,  entre une soi disant civilisation et  la barbarie,  différences qui ne sont pas là où on les croit

    J’ai assisté à 2 réunions de collectifs d’aide  à Calais- même. Là aussi une bonne surprise : pas de rite ni de bavardage creux,   pas de hiérarchie avérée ;  pas d’autoritarisme de leader, pas de contrainte sur sujets et temps de parole. Sur  la trentaine de  militants observés :   jeunesse manifeste ; tous  moins de 30 ans plus  trois ou 4 sexagénaires.  Mélange sans problème et sans  imposition  d’ordre d’intervention ou d’un droit de parole d’aînesse. Tous les participants semblent respecter un temps équivalent à celui des autres. Personne ne monopolise un avis. Là, donc changement total par rapport aux discussion militantes.  Peu de conflits de personnes ; peu de polémiques entre associations : il faut être direct, rapide, efficace dans la prise de décision et  la réalisation des taches

    Cette nouvelle démocratie  de base a-t-elle  demandé un  gros effort, est-elle une contrainte de la situation ?les ego politiques semblent disparus dans une logique d’urgence d’action. Pour celui qui a vécu l’inverse, dans les années antérieures, des mouvements activistes,  c’est un événement à réfléchir D’autant plus surprenant que les origines  et les caractéristiques de la dizaine d’associations présentes  sont variées, incluant des divergences probablement, mais elles n’entravent pas le collectif . Pas de complaisance  à soi, pas de valorisation de son propre groupe. Les sujets évoqués sont la diffusion des informations données par chaque  association ou collectif pour son secteur  au sujet  de l’état de santé  (par exemple les grévistes de la faim); les répliques à l’Etat et à la police ;  les réactions en cours par les personnels et autres actions en  cours justice saisie des instances internationales, un recensement de la population. Je résume excessivement 2 h. 30 de discussions.  Pour  celui qui   abhorre la volonté  ordinaire de se mettre en avant,  la sélection (dureté des actes à mener,  conditions de travail précaires)  engendre des acteurs réalistes et  dynamiques  pour qui l’engagement semble aller de soi.  On ne parle pas des difficultés ordinairesà   se faire entendre de  l’extérieur.   Tous Volontaires  sans complainte, une volonté de se battre contre l’apathie générale malgré l’indifférence des partis locaux et  la pression des groupes fascisants

     Les interventions portent sur la stratégie  à court terme. Les discussions sont basiques et réalistes : résoudrent des cas particuliers ; familles dispersées par la police qui dispatche et ou sépare parents et enfants. Parmi les militants  (en majorité de femmes), plusieurs nationalités,  notamment d’ avocats et personnels de santé  (je n’ai pas vu d’enseignants) se battent sur ce front depuis 3 ou 4 ans (ils étaient là  pour Sangate)

    Quelques  points de l’ordre du jour : les recours, plaintes déposées,  enquêtes pour étayer un dossier,  affectations par la préfecture des abris et destinations,  évacuation des squats  ou assignement et  l’attribution  du  papier (demande d’asile) «  le fameux papier » qui donne le minimum d’existence  face à l’expulsion ou aux  menaces policières ( chez les CRS on   devine deux extrêmes :  tolérance et même bienveillance dans les contrôles ou bien animosité  et violences gratuites : un coup de matraque sur la tête sans raison , en passant)

     

     

     

     

     3 Part du compte–rendu adressé : « Aux camarades » ( et à la mémoire de l’un d’eux, récemment disparu à 38 ans : Max Brichet)

     

     

    Les attentes  à l’égard de la démocratie et de la république ressenties au cours de mes discussions avec des militants de Calais, devenus vite des amis (qui m’ont facilité l’accès) s’appuient, -je le dis avec tout le respect à l’égard  de leur action-, plus que je ne le pensais, sur des  schémas où le rôle de l’Etat reste prédominant.  Ils sont  étonnamment à la fois très critiques et légalistes. Les recherches de solutions qu’ils poursuivent avec acharnement  passent  toutes par la justice civile, administrative ou internationale (faire condamner par la Cour Européenne de justice ; l’appel aux Droits de l’Homme) ,bref mobiliser la conscience des élus et des électeurs,  s’appuyer  tout en les critiquant sur les organes locaux du pouvoir. Et ceci est bien naturel .Premier adversaire : l’Etat, dont l’absence de volonté de solutions humaines  aux migrations est manifeste, mais aussi qui représente contradictoirement, le seul et unique remède (à part l’action citoyenne) . Pas d’autre  « sortie » sinon la violence  pour la violence. Car en face de la force publique et de la loi,  il n’y a rien,  sinon  les anarchistes ; l’extrême -gauche agitatrice qui tentent  d’opposer leur violence à celle de la république indigne et inhumaine,une réponse au coup par coup qui ne parvient pas à se justifier face au mur des médias. Entre ces deux  extrêmes :pas d’alternative. Apparemment on ne pourrait sortir du piège actuel  du  manichéisme. Selon l’opinion, si on abandonne le  « modèle » du régime démocratique dominant, même  pourrissant, on tombe dans le nihilisme ou  l’opposition stérile et systématique

    Or, il existe des issues qui nous paraissent, à nous, naturelles.  De vrais exemples et de vraies expériences sur deux siècles  manifestent le contraire du fixisme et de l’immobilisme. Et quand nous leur en faisons part,  ils sont surpris. Les  idées que nous avons abandonnées, nous, il y a longtemps, à base de clichés, de tutelle de la pensée dominante, de catégories de raisonnement devenues obsolètes,  sont-elles trop lourdes à soulever? Entre le système Gauche/Droite qui a pu être un moyen de classement et d’analyse  et qui ne l’est plus depuis 20 ans  (ou même avant) que faire ?  Nous savons  qu’il y a  d’autres voies. Si on n’accepte pas la république et la démocratie actuellement en vigueur, on tomberait dans le chaos ! Non !il suffit d’inventer, de montrer un peu d’imagination historique ; la pauvreté des idées et le conformisme de débat est déprimante. Tous les volontaires, engagés avec qui j’ai discuté, n’imaginent pas  des solutions moyennes. Ils tombent des nues quand je leur dis que nous, notre groupe (c’est-à-dire rien ; personne ; c’est vrai)  avons pensé à la transition vers une autre République très différente, mieux adaptée  au temps, meilleure en résultats que celle qui s’effondre (qui n’a jamais  été convaincante, ex : les épisodes coloniaux)  et qu‘une  démocratie enrichie peu  dépasser celle que nos aïeux ont inventée.

    Quand j’évoque les moyens techniques juridiques dont, nous, nous parlons tous les jours et qui nous semblent évidents,ils restent attentifs mais incrédules comme si les jeux était fait depuis 2 siècles, les normes intouchables, les codes, sacrés puisqu’ ils viendraient de « 89 » ! Gauche / Droite même combat : les « gaudro » comme on dit entre nous, confusion des valeurs et des partis. C’est  simple, pour nous qui avons pensé le combat G/D comme illusoire depuis la guerre d’Algérie et qui avons esquissé des solutions autres

    C’est ce fossé de croyances possibles, le réalisme ordinaire, qui nous sépare des meilleurs militants de Calais  ou d’ailleurs, et qui me fait vous dire que nous avons du pain sur la planche, camarades, pour justifier les solutions  banales, pour nous, démocrates et républicains, mais d’une autre sorte. Alors Calais m’a fait sentir que nous devions combler le fossé,  et redoubler d’efforts  de diffusion de ce qui est pour nous si manifeste ; les  bénévoles qui  oeuvrent et qui sont la régénération au nom de la libération de migrants  devraient être pour nous, le premier public. Les migrants n’échapperont au destin funeste que si la conscience politique française est « révolutionnée ». Mais notre aveuglement ne date pas d’hier, il est historique ; le gaspillage de notre enseignement est ahurissant, idem la pauvreté de notre recherche universitaire.  

    Aux armes, amis,  stylos,  blogs,  exposés  publics : le boulot nous attend et commence  sur ce bord de France !  

    La République  actuelle est fausse bonne idée, la démocratie est fictive  dans les faits et dans les réalisations : il nous faut de la patience, de la pédagogie  et accepter le refus de institutions installées, l’académisme, le journalisme que nous vivons tous les jours,  en lanceur d’alertes   de la médiocrité intellectuelle. Vous savez le sort fait à nos conceptions sur la vie et la fin  des républiques qui ne fait pas débat. Vous le savez, camarades : ce chemin  clandestin sur le web évoqué souvent  entre nous, et le livre quasi collectif ([3] ) qui  en est issu raconte les cas vécus  de républiques fortes ou faibles, vivantes ou en  morts  cérébrales. Toutes les innovations ayant vu le jour doivent être connues. Je rappelle quelques inventions de nos ancêtres de toutes nationalités ;  représentation élective ou tirage au sort sélectif, choix locaux ou nationaux, contrôle des élus par des jurys populaires ? Des quotas de certaines professions ou certains secteurs parmi les élus ?  Droit de vote  ou droit à l’accès au scrutin il faut choisir ! Beaucoup de choses ont été tentées et ont  réussi ailleurs dans l’histoire républicaine.  Nous, on reste bloqué sur notre Révolution de 89.  Le suffrage universel doit être revu  afin que la fausse égalité « un Homme, une voix »  soit atténuée car formelle  ainsi que l’éligibilité à base de la fortune et des dépenses personnelles à   salarier des agents de propagande. Que soient  réhabilités le vote de groupes en collectifs acteurs, et la gratuité de candidature soutenues par des régions ou  des professions

    La limitation des droits de la propriété, notamment  celle économique cruciale imposerait  un  non droit à l’héritage au-delà de 2 générations ; les portefeuilles d’actions et les  fonds  hérités seraient plafonnés. Surveillance des propriétés associatives extensives, la propriété privée, elle même,    ne peut être sans limites ; celle d’entreprise doit être surveillée (corps d’avocats publics à ce service) ;  les directions  ne seraient pas de droit divin mais renouvelables par tirage au sort ou issues  d’horizons variés ;  les groupes de taille mondiale doivent être surveillés et particulièrement la propriété des grands médias et des éditions. Ils nous dictent ce qu’il faut penser aujourd’hui, ce que nous devons croire, comme seules solutions. Notre manque d’imagination créatrice est  funeste et nous renvoie aux vieilles lunes dont se servent de piètres  opportunistes  dans nos organes de pouvoir

     Des anthropologues (Jack Goody le plus connu),  de nombreux historiens ont étudié les diverses républiques dans le temps et par le monde.  Elles ont connu des expériences incomparables et des solutions ingénieuses, riches, aux contradictions parfois fécondes. Nous n’en savons rien puisqu’on ne les étudie jamais en série.  Notre ignorance rétrospective est insondable et personne au sommet ne nous aide, ni n’incite, puisque le mot d’ordre de tout pouvoir est le pouvoir en soi.  La complexité des cas démocratiques  inventés depuis l’Antiquité mérite une réflexion comparative. La diversité des situations mondiales doit faire sortir l’Europe de son enclos frileux

    Par exemple :

    Le mode de gestion des élus devra être contrôlé par les électeurs : refus de mandats successifs ;  mélange  obligatoire des professions à L’Assemblée  Nationales où seules  une quinzaine de professions sont surreprésentées .Chercher des équilibres dans le mélange  des expériences professionnelles vécues par les députés et mélange des compétences des élus. Mille solutions et mille suggestions ont été analysées dans le passé et expérimentées Mais les juristes se taisent et c’est les moins bien placés d’entre eux qui parlent. Donc refuser la professionnalisation des politiciens, à vie. Renouveler  les écoles de formation à la politique et  interdire l’autosélection des élites qui gouvernent depuis 50 ans en puisant dans le même vivier de scolarisation « diplômé ès études politiques » ; de là la sclérose des vedettes en politique  ,leur étroitesse d’esprit  et leur absence de sens pratique

     De nombreuses autres solutions ont été trouvées dans la longue histoire des Républiques -notamment sur le mode de scrutin (ni majoritaire, ni proportionnel par quotas de grands secteurs économiques nationaux). Le mode de représentation : abandon du « Un homme-une voix », au profit des choix de votes multiples, pour des individus en charge de la Nation  (actifs/ jeunes parents)

    -Sur les modalités de vote : rapprocher les  urnes et les bureaux, des cités et des quartiers, les étaler sur plusieurs jours pour intéresser la population qui est actuellement exclue (lourdeur des procédures et  immobilisation du lieu de vote). Votes de groupes ou d’associations qui auraient droit  de parole au mode d’élection; les urnes sur les lieux de vie  et les cités faciliteraient  un scrutin adapté au mode de vie. Tout ceci a été expérimenté  et a marché au profit de la mobilité et de l’ouverture. Depuis 50 ans aucune idée nouvelle des constitutionnalistes, hors de  leur petit terrain,  n’a vu le jour.  La culture historique s’est étiolée

    -Un corps de comptables itinérants comme ceux de la Cour des comptes assurerait la  surveillance de la grande corruption et la peine capitale pour les récidivistes.   Renouvellement obligatoire des assemblées élues par interdiction de deux mandats (la Constituante l’avait fait en 1791,  sinon autosatisfaction permanente des élus)

    Notre sens critique est émoussé, les initiatives sont étouffées. Nous avons perdu toute imagination. Cependant l’étendue de l’expertise des  diverses républiques, bien sûr toutes mortelles, permettra la réflexion sur forces et moyens, sur progressisme et conservatisme,  succès et échecs.

    Un répertoire de création  d’idées neuves  en  amélioration démocratique  sera ouvert.

    A vos tribunes !!

    Et  Merci à Calais  si ce fut le point de départ du renouvellement 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



    [1] Pancarte qui survit dans les ruines « Ecole laïque des dunes ». Quelques graffitis  sur ce qui reste de l’ « église » (genre étable de Bethlehem) : « La France se prostitue  sur les trottoirs des dictatures du monde »

    [2] Anecdote cocasse :  avant le départ j’ai fait l’expérience de la menace; allant à la gare avec ma valise, sur le trottoir d’une avenue passante, je me suis porté sans le temps de réfléchir au secours d’une  conductrice qui, se garant, ouvre sa fenêtre et se voir dérobée  par un homme, de sa bourse, le sac et le portable sur le siège. Elle les agrippe, l’homme tire par la vitre et secoue; je suis à pied, et saisis entre les deux,  la lanière tirée par  chacun : je demande poliment  au voleur de « laisser la dame tranquille ». Je reçois un coup de pied au ventre, genre boxe  libre ou karaté, et  suis cul à terre. L’homme qui arrache,  part en courant ;  une leçon : Moi ?  Vouloir porter secours à une femme ?   Pas deux fois !

    [3]  Cf.Nos publications, ou celles introuvables telle ; « La mort des républiques »  : site Mondialisation et Histoire (Peneff et al.)


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