•  

     Je veux parler d’un livre qui vient de paraître et qui me concerne particulièrement (mai 2021):il s’agit d’une réunion d’une vingtaine d’articles dont d’ailleurs j’avais oublié le contenu. Collection Libres Cours Sociologie – PUG- Sur le terrain : un demi-siècle d’observation du monde social. (Présentation d’Alain Blanc). Hommage aux Grenoblois qui ont participé à l'élaboration de ce bilan de carrière :   dans une collection ancienne et reconnue des Presses Universitaires de Grenoble. Quand je l’ai reçu, j’ai été frappé par la beauté de sa forme, par l’élégance de sa présentation et par la qualité de la typographie et de l’organisation des chapitres. Mes réflexions sur ce retour sur soi ? ça fait drôle de voir défiler toute sa vie sur 500 pages. Comment arpenter «  Sur le terrain :un demi-siècle d’observation  du monde social » » ?

     

    Mais là, soudain, que je prends conscience combien un livre et des articles sont un travail collectif : beaucoup de personnes étrangères interviennent. Une « œuvre » est finalement le produit d’un réseau de proches ou de lointains. Parce qu’elle doit beaucoup à des gens extérieurs, des collaborateurs, des lecteurs, des enquêtés, des collègues et des étudiants et évidemment des éditeurs, plus ou moins conseillers qui ont involontairement participé

     

    . C'est un grand honneur pour moi car cette édition ou cette collection sont liées à la Résistance  contre le nazisme.   Un ancien doyen de la Fac en fut un, d'autres profs s’y illustrèrent : l'engagement universitaire de Grenoble est au premier rang de la Résistance dans l'enseignement en Facultés. A Blanc veut bien y faire allusion en introduction, quand il évoque, mon départ anticipé à le retraite pour  militer ou aller  aider les Migrants de Calais dans la jungle comme on disait alors… !.Je suis fier  car dans le même catalogue, il y a  le beau livre « Entrés en Résistance » de  Michelle Gabert , PUG 2000

     

    Grenoble, un haut lieu de la Résistance, je l’ai dit, me fait penser à ma région natale, à mon canton qui eurent de nombreux courageux à monter «  au maquis » , faits qui ont bercé mon enfance. En venant à la retraite dans un village de Haut Isère, je savais que je rencontrerai des  survivances  de ces événements, alors qu’à la Fac d’Aix je n’avais vu et vécu que l’inverse: trahisons,  loufoquerie et  ridicule des précieux et ambitieux.  C’est pourquoi, connaissant depuis longtemps Alain  Pessin  et Alain Blanc, je suis apparu avec plaisir  aux rencontres  de Grenoble où nous attirâmes Howard Becker qui vint plusieurs fois pour des événements  sociologiques dont plusieurs livres  aux PUG, gardent  d’ailleurs les traces

     

     

     

     En remerciements à l’éditeur et au présentateur, mon ami Alain Blanc , je veux faire  deux remarques a posteriori   qui me reviennent à l’esprit,  à destination des jeunes générations.  Deux de ces articles évoquent les réactions du milieu des sociologues face au Pouvoir.  Les relations   entre des intellectuels libres, qu’ils soient ou non « sociologues », ont bercé d’illusions, les années 1970 à 2010 , dans le refus des engagements mais dans le respect des institutions, dénoncées ailleurs sur le papier. Cet aspect   suggère de mieux connaitre le sociologue bicéphale, -fonctionnaire au profond respect «dû » au Pouvoir d’Etat-, et des écrits  de  Rebelles de bureau. On verra ainsi l’auto-censure de nombre  d’entre nous, ainsi qu’un   racisme de classe qui ne dit pas son nom !

     

     

     

     

     

     

     

    Il s’agit d’abord de l’article, page 413 : « Football : la pratique , la carrière , les groupes » 

     

      Cet article a fortement déplu dans le milieu sociologique, à ma grande surprise, car ma carrière de footballeur était dérisoire, même si elle fut longue.   On me dit qu’elle ne pouvait pas être évoquée là. J’en fus alors étonné ; Bourdieu, ou d’autres aussi connus, même des proches, m’ont signalé qu’une activité populaire, aussi  frustre, risquait de nuire à ma carrière d’intellectuel crédible .Un authentique sociologue, bref un penseur, ne peut se mêler au peuple puisqu’il est destiné à l’étudier de haut, puis  à le diriger ou l’orienter. J’en fus stupéfait. Le sport en amateur dans un club avec des entrainements, des hiérarchies de dirigeants, voire des journalistes, avec un  calendrier rigide, des entraînements à heure fixe ;  bref le côté de la  pratique :  raconter  ça, ne convient pas au théoricien qui veut prendre de la hauteur de vue et de pensée 

     

     Je n’avais pas anticipé, en petit joueur villageois, dans un équipe de 3è division Régionale de  Fédération inférieure. On ne m’avait pas dit que  le sociologue, futur « théoricien du peuple »,  ne doit pas  se mélanger totalement avec ses co-équipiers prolo ou de basse extraction. D’où ma surprise quand 40 ans après je publie cet article sur le foot vu de l’intérieur, contre les spécialistes de « l’élite »,   et que cet article soi-disant me décrebilise et   affaiblit mes chances de promotion !! Pourtant que de choses à apprendre pour  les classes sup qui font de la socio comme  les prêtres d’une grande religion du Savoir et de la science, sans rien connaître à la vie des classes inférieures dont ils se veulent les porte –parole !!Les  sociologues des années  1950 à 2000 ont étudié le « peuple » sans se salir les mains et de loin !!  

     

    A partir de là, j’ai douté de la socio faussement démocrate, de sa « gauche intellectuelle », de son populisme de salon !! Heureusement au même moment, je voyais et rencontrais une série de sociologues américains qui pensaient l’inverse. Et notamment Howard Becker  ,pour lequel  ses profs et amis ne considéraient pas comme un déshonneur, qu’il fut, jeune sociologue, aussi  un pianiste de bordel . Au contraire, cela pouvait même être un moyen   génial,  un « truc »pour s’instruire sur les fumeurs de shit  ou pour  observer  directement les milliardaires en vadrouille, s’acoquinant .  Moi, en pratiquant un sport populaire, licencié à la FFF, encore à 70 ans, rencontrant  des jeunes et en fusionnant avec eux pendant les 90 minutes d’un match, les écoutant au vestiaire, aux entraînements ou  lors des déplacements du dimanche , j’en ai appris sur les classes populaires  bien plus que cent livres  de bibliothèque.   

     

    Voilà un des souvenirs, que les PUG  m’ont remis en   mémoire   : il y  a bien des classes sociales, des luttes internes eu sein de la « Science » dite de la société  . Lutte de catégories de privilégiés qui se drapent de justice sociale et de progressisme, et même une lutte de classes pour les places, les honneurs, les promotions.

     

     

     

     

     

     J’ajouterai un deuxième souvenir :  quelque chose   qui me frappe rétrospectivement.  La censure douce ou l’auto-censure qui règne chez nous, les Universitaires ; c’est -à -dire la quasi-interdiction de certaines enquêtes ou conclusions. Un des textes  d’ enquêtes republiées est signalé mais n’apparait pas dans le corpus final ici publié. Parce ce qu’ il fut impubliable en France….  et pas aux USA !!  Comment est-ce possible ?  Ici,   je me suis heurté  au refus de toutes les revues de sociologie contactées ! ( je rappelle qu’elles sont toutes subventionnées par l’Etat) . Ce texte intrigue bien sûr !   Pourquoi   cette enquête n’a pu être publiée dans mon pays. Incendiaire ? Non ! Injurieux ? Non !  Pourquoi la liberté d’opinion est-elle auto-limitée et   les publications   soumises à des contrôles non-dits ; une autocensure masquée ?  Je veux raconter cet incident typique d’un libéralisme étroit, d’une liberté de pensée contrôlée et dominée par une surveillance des pairs, ceux qui sont  dans les postes-clé

     

     Cet article, intitulé aux USA «  Les observateurs observés, le travail  réel des statisticiens et des sondeurs d’opinion» ! n’existe que dans sa version américaine car Howard Becker l’a traduit et la fait publier aux USA dans revue sociologique  connue ( dont on verra la référence p 456 du livre des PUG) : c’est une histoire curieuse et suggestive d’auto-censure !  Elle est  significative ; il y a bien  une véritable surveillance morale chez nous,  acceptée par tous, sans sourciller .

     

     En innocent, j’ai voulu un jour des années 1987,  enquêter -comme les Américains de Chicago- sur les institutions d’Etat qui font les recensements, des études statistiques les plus reconnues :L’INSEE, l’INED etc  ainsi que sur  les instituts de sondages, les  fabricants d’enquêtes d’opinion.  Ils nous servent de base chiffrée et de preuve  pour nos études  y compris qualitatives.

     

     Cette enquête avait été réalisée par moi, seul comme d’habitude, au sein de deux des  organisations étatiques,  me faisant passer pour  un enquêteur  de contrôle,  ou  un  futur embauché par les sondeurs :ces ruses  habituelles afin de pénétrer  un milieu, pour observer ses pratiques réelles. En participant officiellement  mais secrètement je voulais voir directement les institutions officielles de comptages ou de recensement,  ou  ambitionnant d’ autres  données ,  à l’œuvre. Que ce soit à la demande des instances de gouvernement, de la fonction publique, ou autre organisme   afin de mieux connaître leur public ou le sujet de leur travail :  bénéficiaires du SMIC, Allocations familiales, natalité etc.   Finalement cet article, racontant mon enquête secrète et ce que j’avais découvert (non pas des fraudes -pas plus qu’ailleurs-mais des interprétations, des approximations étonnantes), je n’ai pu le publier. Toutes les revues le refusaient, les résultats inquiétant apparemment les rédacteurs et les lecteurs consultés!  Pourtant que de choses à apprendre  au sujet des   classes sup. qui font de la socio comme  les prêtres d’une grande religion du Savoir et de la science sans rien connaître à la vie des classes populaires dont ils se veulent les porte – parole et les directeurs de pensée Bref cet article raconte comment sont « faits » fabriqués les sondages, les comptages officiels, les enquêtes d’opinion qui inondent les médias où les recensements d’Etat ! Apparemment c’était explosif ! je tombais des nues, moi ! complétement « innocent » !  Voir de l’intérieur puisque je me suis fait passer pour un faux enquêteur officiel recruté récemment, apprenant le métier, est apparu explosif, j’étais une menace et je n’en savais rien avant !  

     

    Cette enquête, donc, rédigée sur 40 pages, faisait part de ma surprise , d’ arrangements avec la réalité, des sollicitations de réponses, de fabrique de  chiffrages approximatifs « arrangés » a posteriori.  La fabrication de données jugées intangibles, leur façonnage pour les rendre « crédibles » sont nécessaires pour faire du chiffre, notamment pour l’enquêteur payé au rendement, pour la « boite » qui en reçu la commande .Cet article bien sûr fut impubliable en France. Le   profanateur de la Vérité d’Etat et de ses comptages par les détenteurs de l’autorité , «connaisseurs de l’opinion ou fabricants des données essentielles nationales  sur lesquelles nous vivons tous : ceci est banni ! C’est un tabou sur lequel je jetais un éclairage.  Seuls quelques sceptiques sur le pouvoir d’Etat  et de sa réelle connaissance de sa population se retrouvent bien sûr !   Mais ils se taisent. Là, le sociologue allait trop loin. J’en concluais qu’une censure existait bel et bien et que nous ne pourrions dire ce que nous voyons quand on fait de l’observation participante secrète, de longue durée .La Sociologie se heurte là au pouvoir d’Etat et aux classes supérieures dirigeantes,  à   leurs  propres chercheurs qui font les Vérités  à travers les chiffres qui les soutiennent et  qui leur conviennent ! Le destin de ce papier  a  donc été aussi étrange que sa naissance !   En France, jugé impubliable  comme un « crime » d’Etat,   il fut traduit aux USA mais il  y a soulevé un vent de fronde parmi les instituts américains universitaires,  de genre Sciences Po ou ENA  disant que c’était là un travail malintentionné ; que de telles  errements  ne pouvaient exister qu’ en France, pays d’amateurs de comptages ou  sondages   particulièrement  malhabiles, et que, eux, les Américains avaient, avec leur NORC ou autre grands instituts, de vrais professionnels incapables de telles évaluations et de telles fautes.  Leurs précautions, de la part des chefs et des intellectuels «  qui maitrisaient  la situation de rectification  d’ erreur  et  la  validation » , les vrais « pros » qu’ ils avaient, les mettaient à l’abri . Quelques sociologues américains, des plus célèbres ont, néanmoins, souhaité me soutenir et ont  publié une justification  de mon travail,  notamment Becker  ironisant sur les prétentions de leurs  propres organismes d’opinion.  Dans un Droit de réponse  aux USA, je disais, de façon moqueuse  que jamais, au grand jamais je ne soupçonnerais, au sein  des grands Instituts américains, de telles maladresses, un tel amateurisme !  Et que ceci était donc bien Français :  comme on sait, pays de farfelus scientifiques  et  d’amateurs  en recherche  statistique ! Cet incident « quasi diplomatique » ( j’exagère)  aux répercussions significatives engendra, quant à moi,  des réflexions  sur l’avenir de la sociologie, dans un poste d’Etat  et  m’inspirait a posteriori la  refus de toute censure , et plus grave de l’auto-censure   devenue inconsciente et que cela survivrait au changement de siècle et à l’usure du temps.   

     

    C’est pourquoi je décidais d’arrêter l’enseignement et l’Université,  haut lieu de vanité, dès le premier jour de la retraite arrivé, malgré mon droit d’occuper mon poste 8 ans supplémentaires , vu  que la loi très hiérarchique, nous avantage et nous autorise,  nous profs de première classe ou Hors classe. Grace aux droits à la Retraite que l’état nous donne généreusement, j’ai voulu avancer la mienne et ainsi, réfléchir, puis écrire 6 livres supplémentaires, « libres de toute surveillance »  (autant que dans ma vie active).   J’ai donc continué à m’exprimer dans une liberté totale de réflexion, grâce à des éditeurs indépendants, dans la solitude, à l’exception de quelques  amis, ou de quelques ex-étudiants restés proches qui me visitent. Liberté manifeste dans la solitude complète en haute montagne, d’un village de 30 habitants, plus proche des animaux sauvages que de mes compatriotes, victimes, parait-il, en ce moment, d’une attaque d’un implacable virus.  

     

    Grace aux éditeurs des PUG, je revois donc ces 40 ans de travail continu et perçois combien « mon œuvre » a  profité  de l’aide de proches ou de gens lointains. Je pense d’abord à ma famille, à ma femme qui a lu et relu, à certains de mes collègues ou amis qui n’ont cessé de me conseiller et bien sûr, à tous les éditeurs ou étudiants qui m’ont supporté, notamment mon caractère, pas  facile.   Ce livre Sur le Terrain  a été donc  pour moi l’occasion de revoir  ma vie intellectuelle  et de me souvenir de la chance que j’ai eue.

     

    Donc merci encore à mes «  éditeurs» des  PUG , à l’organisateur, Alain,  pour cette occasion unique de  reconstituer les circonstances de la création  de tous ces « papiers », avant qu’ils ne  disparaissent dans mon ermitage  là-haut.

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :