• Louer son corps à la science :

    L’organisation des essais de médicaments sur l’homme

     

    Christophe Brochier[1]

     

     Ce texte est un modèle de compte rendu d’observation sociologique comme d’autres de mes étudiants en firent, hélas  dédaignés  par la profession  médicale, les instances de la Santé. Trop intéressants peut-être ? Le récit est  précis, riche, méticuleux dans le choix des items retenus,  clairs et synthétiques ;  sans pathos ni prejugés

     On retient immédiatement l’essentiel.  Tout ce qu’on apprend est  ce fait qui le fondement de notre société médicamenteuse ; et  était inconnu de nous, les profanes de cette industrie privée de l’usage des cobayes  Tout nous rend stupéfait : notamment que ces évaluations  soient réalisées dans des conditions  et des procédés dignes du Moyen–Age de la précaution ! Dans une chaîne industrielle  des rapports humains et sociaux .   Nous vivons donc dans un monde de la médecine enchanté et embelli. qui Notre incuriosité est phénoménale et à la hauteur de l’exploitation par le capitalisme des labos  que  protègent nos règles et administrations

    On sera amusé ou heurté par  plusieurs faits :

    -Le racisme à rebours  et le féminisme qui discriminent les non –européens ... et les femmes

    -La caractère brouillon et « improvisé » de la sélection

    - les dures conditions de travail  du personnel de base, lui-même. Le travail  de prêter son corps à la « science » est une marchandise comme une autre. On exploite allégrement la jeunesse en manque d’argent de  la vie quotidienne et la main d’œuvre des préleveurs et  des infirmières .C’est  là, crûment, que ‘on perçoit que les testeurs-patients sont traités comme  une sorte de bétail humain ! Merci à l’assurance maladie qui contrôle tout ça ; merci aux commissions éthiques, merci  aux cliniques et hôpitaux et à tout ce business-machinerie de production de la « Santé » publique

    Madame la  Ministre avez-vous envoyé vos enfants ou petits enfants pratiquer ces tests  ou  votre personnel ministériel  a –t-il fait l’effort  de s’y soumettre  en forme de vérification ?

    Votre silence  parle amplement ; il est même fracassant !    

     

     

     

      

    Mémoires d’un testeur de médicaments (essais thérapeutiques de niveau 1)

     

     

    L’exemple du Teldane, retiré de la circulation pour avoir causé la mort de plusieurs personnes, met en lumière le fait que les effets secondaires des médicaments que nous utilisons quotidiennement peuvent être mal connus. Une loi oblige les laboratoires pharmaceutiques à des tests rigoureux mais le grand public ignore comment dans la pratique ces essais sont réalisés. Peu de gens savent que les médicaments mis au point sont testés sur des volontaires à travers plusieurs étapes successives. La première concerne des sujets sains en nombre réduit et a pour objet de vérifier la tolérance et la toxicité du médicament. La phase 2 concerne des sujets malades en plus grand nombre, 100 à 200 et vise à déterminer la dose minimale à partir de laquelle le produit est actif, la dose maximale supportable et, entre les deux , la dose moyenne efficace. La phase trois étend l’expérimentation à plusieurs centaines de malades, avec comparaison par rapport à des produits de référence. Après cela, le laboratoire peut demander une autorisation de mise sur le marché

    J’ai participé à des tests en phase 1, et je propose ici le récit de cette expérience, à partir d’un point de vue sociologique, celui du « cobaye » en m’appuyant sur plusieurs participations à des essais dans un institut parisien spécialisé (que j’appellerai Medix) entre 1994 et 1996. On verra que, confiée à des instituts privés, l’évaluation des médicaments se fait dans la précipitation : l’objectif étant que le plus grand nombre de médicaments puisse être testé le plus rapidement possible et au moindre coût

     

    L’organisation matérielle des tests à Medix- Paris

     

    Parmi les nombreux centres existant en France, certains sont installés au sein d’hôpitaux, d’autres comme Medix ont des locaux  indépendants. Le candidat aux tests a donc le choix. J’ai commencé par me rendre chez Medix, puis j’ai essayé de participer à des tests chez « Farmex » (pseudonyme), avant de m’inscrire sur une liste d’attente au CET (Centre d’Evaluation Thérapeutique). Les deux premiers sont des instituts ayant des locaux indépendants situés à Paris, le dernier est installé dans un grand CHU de province. A Paris, d’après des candidats informés, d’autres centres existent dans des hôpitaux, et proposent régulièrement des protocoles (terme d’usage) comparables à ceux de Medix.

    Medix occupe un grand bâtiment de quatre étages, flanqué de deux petites annexes en préfabriqué. L’enseigne est discrète, et ne renseigne pas sur la nature des activités du centre. De l’extérieur, on a l’impression qu’il s’agit d’un laboratoire d’analyses médicales. En entrant, c’est la sensation d’être dans un hôpital en pleine activité qui domine. Des hommes et des femmes en blouses blanches circulent avec empressement. A l’entrée, un bureau d’accueil où une queue se forme des huit heures du matin et où le téléphone sonne en permanence. En face, une petite salle où trois ou quatre femmes en blouse sont chargées d’attribuer des tests aux candidats choisis et d’établir les plannings. Le premier et le deuxième étage abritent des chambres pouvant recevoir entre deux et quatre personnes avec deux douches sur le palier. Le troisième étage concentre les diverses salles d’examen. Le dernier étage est réservé à la « réa » : deux grandes salles dans lesquelles sont disposées deux rangées de 8 lits se faisant face, chacune surplombée par deux postes de télévision. Au fond de la salle de droite on trouve, outre les salles de bains et les uniques toilettes, deux petites pièces. L’une sert aux électroencéphalogrammes, l’autre au suivi intensif de certains sujets. Les pré-fabriqués minuscules à l’extérieur sont destinés aux tests de cosmétiques (des expériences visant à tester des produits qui ne sont pas des médicaments).

    L’institut a considérablement grossi. Quelques années auparavant, tout se passait dans les préfabriqués puis, l’activité s’est étendue à l’immeuble adjacent. Mais l’espace semble continuer à manquer. Ainsi, la distribution des chambres est souvent un problème pour la responsable des plannings, et les sujets sont logés à plusieurs. En salle de réanimation, garçons et filles peuvent être mélangés ce qui oblige à utiliser un paravent pour certaines manipulations.

     

    Les candidats aux protocoles : chômeurs et étudiants  

     

    J’ai appris l’existence de Medix en 1993 par l’intermédiaire d’un ami qui depuis plusieurs années finançait ses études en participant à des protocoles (le terme d’usage pour les tests). Je commençai ma thèse l’année suivante et je me suis donc intéressé à cette solution pour subvenir à mes besoins. Le montant des rémunérations (qu’on appelle indemnisations) est environ de  650 euros par jour passé à l’institut. Le sujet (on parle de volontaire) peut donc gagner rapidement des sommes non négligeables à condition de ne pas dépasser un cumul de vingt-cinq mille francs par an et de respecter un délai de trois mois entre chaque expérience. Mais il n’y aucune vérification possible puisqu’il n’y a pas de fichier national des cobayes  et qu’ils peuvent aller à l’étranger  pour en tester

    Le deuxième avantage pour le testeur est que Medix propose en permanence un nombre important de protocoles. Le sujet peut choisir entre plusieurs tests s’étalant sur des durées diverses, entre trois jours et trois semaines. Si certains exigent une hospitalisation, d’autres n’imposent qu’un ou deux passages par jour pour des prises de médicaments ou des examens. Le volontaire négocie le choix du protocole avec la responsable du planning, mais l’expérience, une fois commencée, ne peut être interrompue.

    Medix attire donc principalement des étudiants désargentés[2] et des chômeurs. La « clientèle » est jeune, âgée de vingt à trente-cinq ans et presque totalement masculine. Les femmes que j’ai rencontrées participaient à des tests liés à la contraception[3]. Sur les murs, au rez-de-chaussée et au troisième étage, des panneaux annoncent que l’institut recherche des femmes ménopausées pour participer à certains protocoles. D’autres proposent des tests spécifiques pour les allergiques ou les gros fumeurs.

    L’institut compte sur le bouche à oreille pour les recrutements. Même chez les jeunes (la catégorie potentiellement la plus intéressée), peu connaissent l’existence de ces centres qui tiennent à rester discrets[4]. Lors de mon premier contact en 1994, la standardiste me demanda qui m’avait indiqué l’existence de l’institut, et j’ai dû donner le nom de mon camarade. Par la suite, j’ai moi-même fait la publicité de Medix auprès d’amis en quête de revenus complémentaires. Il est possible que cette préférence pour l’indication mutuelle corresponde à une stratégie d’évitement des candidats que l’institut juge indésirables. Cependant la salle d’attente pour les pré-admissions est pleine dès huit heures du matin et il faut en principe patienter une à deux heures avant d’être examiné par le médecin. Cela ne permet pas d’affirmer que Medix a toujours à sa disposition le nombre de volontaires voulus (la sélection en écarte certains et les besoins varient dans le temps) mais on constate au moins que l’information circule et qu’un flux constant amène de nouvelles recrues.

     

     

    Manoeuvrer pour être admis : la rigueur de la sélection n’est qu’apparente

     

    Mon premier contact avec Medix s’est fait par téléphone (mon ami m’avait averti qu’il valait mieux dire le mot protocole dans la discussion : « ça fait plus au courant »). La standardiste me lit avec un ton sec et pressé  une liste de questions[5].

    Avez-vous déjà participé à un protocole ?

    Avez-vous déjà passé la visité d’admission ?

    Avez-vous des antécédents allergiques ou hépatiques ?

    Avez-vous de l’asthme ?

    Avez-vous subi des opérations chirurgicales ?

    Avez-vous une couverture sociale ?

    De quelle origine êtes-vous ?

    Quel est votre âge ?

    Avez-vous effectué votre service militaire ?

    Que faites-vous dans la vie ?

    Comment avez-vous connu Medix ?

     

    J’ai constaté plus tard, que l’ordre et la nature des questions peuvent changer. La standardiste, débordée, semble vouloir perdre le moins de temps possible avec ce premier tri des candidats et elle pose ces questions sans laisser le temps de répondre avec précision. Le point crucial concerne les antécédents médicaux. Les allergiques ou les malades du foie sont immédiatement écartés. La question sur le service militaire a pour objectif de savoir si le candidat a été réformé. L’un de mes amis qui n’avait pas prévu cette question a dû reconnaître que l’armée n’avait pas voulu de lui parce qu’il avait prétendu souffrir de problèmes mentaux, ce qui lui a valu un refus. La troisième question qui concerne « l’origine » du sujet est surprenante et inattendue. Ma première réaction a été de demander ce que ce mot signifiait. A quoi on m’a répondu : « êtes-vous de type indo-Européen » ? J’ai répondu que je pensais que oui car mes parents étaient français. Il semble donc que Medix cherche à éviter les candidats qui ne seraient pas blancs et je n’ai effectivement pas rencontré en 1994 et 1995 de candidats noirs, ou maghrébins.

    Pour vérifier l’existence de critères « raciaux » de sélection, j’ai téléphoné en 1997 en prétendant m’appeler Nasser Yissid, de parents algériens mais de nationalité française. La standardiste m’a immédiatement répondu que l’institut n’avait besoin pour l’instant que de « candidats de type caucasien », mais qu’elle me gardait sur son fichier Le personnel emploie donc des mots d’apparence scientifique (« type caucasien ou indo-européen ») pour éviter de dire clairement que les gens de couleur ou les étrangers ne sont pas les bienvenus. Medix ne souhaite pas recruter des « non caucasiens  » et tous les gens que l’on peut voir dans l’institut sont blancs, à part les femmes de ménage, toutes africaines. J’ignore si cela est justifié par des différences physiologiques selon l’origine ethnique.

    Le lendemain de ce coup de fil, j’ai demandé à mon frère d’appeler Medix. La standardiste lui demande son origine. Comme il fait mine de s’étonner de la question, elle lui précise qu’il s’agit de l’origine ethnique. Il hésite puis dit qu’il est français et s’appelle Frédéric Leroi, un pseudonyme qui semble la rassurer. Quelques semaines plus tard, je fais téléphoner un ami qui prétend être d’origine portugaise. Pas plus que pour M. Leroi, la responsable ne s’inquiète alors de déterminer le type physique du candidat. L’origine européenne de M. Souza lui a, semble-t-il, paru suffisante et elle lui donna un rendez-vous pour le lendemain.

    Medix, au cours des différentes étapes de sélection, m’a semblé repousser les candidats s’écartant du modèle du jeune homme blanc, stable, en bonne santé potentielle. Il est possible qu’en évitant les personnes d’origine étrangère, mais aussi les pauvres, les sans domiciles, l’institut cherche à écarter des personnes au comportement pressenti comme incertain et s’efforce de constituer une clientèle stable de cobayes « sûrs » : peu susceptibles de mentir aux questions, de s’absenter, de rater les rendez-vous, etc. Le refus systématique permettrait alors d’empêcher la constitution de réseaux de volontaires vus comme « douteux » et diffusant les coordonnées de l’institut hors des cercles ciblés.

    Les autres questions que pose la réceptionniste sont moins importantes. L’activité n’est pas toujours demandée, mais les étudiants sont invités à préciser leur section (peut être pour déterminer quelles sont les connaissances médicales du sujet). Enfin, il suffit de dire que l’on a déjà participé à des tests pour être dispensé de la visite médicale dont je vais parler. La standardiste ne vérifie pas, ne se sert d’aucun fichier de contrôle et prend pour acquis les réponses faites [6].

    A mon premier appel je fais l’erreur de dire que je suis allergique et la standardiste me renvoie alors au service cosmétique. Je rappelle quelques semaines plus tard. La standardiste, toujours aussi peu aimable et qui n’avait pas pris mon nom la première fois me pose les mêmes questions. Cette fois je prétends n’avoir jamais entendu parler d’allergies dans ma famille et j’obtiens un rendez-vous pour le lendemain à huit heures[7].

    Le jour dit, je suis accueilli à l’entrée par la réceptionniste, débordée : elle doit à la fois recevoir les arrivants, répondre au téléphone qui ne cesse de sonner et orienter les candidats. Ces derniers doivent présenter une pièce d’identité gardée à la réception et vont ensuite remplir un questionnaire au troisième étage, dans une salle d’attente comble. Ce document fait le bilan de l’état passé et actuel de la santé du postulant à partir de son seul témoignage. On insiste pour savoir s’il boit ou se drogue, et je note qu’un test HIV sera effectué. Après une heure d’attente, je suis reçu par un médecin pour une visite rapide. Il lit le questionnaire et demande des éclaircissements avant de procéder à un rapide examen : tension, poumons, etc. Je réponds sincèrement à ces questions, et fais état de quelques affections passées, ce qui est une erreur. Je suis exclu des tests de médicaments et je suis de nouveau renvoyé au service cosmétique[8].

    A ce stade de mon expérience chez Medix, les règles d’admission paraissent donc strictes : Certains antécédents médicaux déclarés sont propres à disqualifier le sujet. J’ai été desservi par ma spontanéité et je réalise qu’il faut donner à l’institution les réponses les meilleurs sur sa santé et nier tout problème et antécédent.

    Je reviens donc un an plus tard. Coup de fil, visite. Cette fois je biaise ou écarte les questions délicates et dis m’être toujours bien porté. Je déclare n’avoir pris aucun médicament depuis des semaines alors que je viens en fait de terminer un traitement anti-inflammatoire pour guérir une entorse et que j’ai absorbé l’avant-veille de l’aspirine et un comprimé contre les allergies. Vraisemblablement, les dossiers n’ont pas gardé trace de mon précédent passage, et je franchis sans difficulté le barrage de la visite[9]. Mon cas n’est pas isolé. Mes amis ont éludé les questions embarrassantes (antécédents, allergies, service militaire). Il n’y a de toute façon aucune vérification possible. Est-ce que cette sélection est purement formelle avec des critères médicaux de peu d’importance ? Je ne sais.

     

     

     

    Le choix des tests : le moindre mal au meilleur prix

     

    Après la visite, je me rends au bureau des plannings pour discuter du choix d’un test. L’accueil n’y est pas plus aimable. Il n’y a que deux employées débordées pour s’occuper des candidats qui font la queue, répondre au téléphone, renseigner les médecins à la recherche d’un dossier ou d’une information... Personne ne semble me prêter la moindre attention. Au bout d’un moment l’une des employées me demande à quel type de protocole je veux participer. C’est une femme d’une quarantaine d’années, au ton sec. Elle me vouvoie (plus tard les infirmières nous tutoierons). Je demande un test qui ne s’étale pas trop dans le temps. Elle tire immédiatement une fiche d’un cahier aux feuilles plastifiées et me dit : « J'ai ça, deux fois deux jours, plus bilan final, une semaine après, indemnisation 400 euros ». Je ne retiens pas le nom du médicament. Elle parle vite et utilise des termes médicaux pour décrire le protocole, mais je crois comprendre que le remède s’adresse aux anciens consommateurs de haschisch. Je la sens impatiente comme si elle voulait me « vendre » rapidement son protocole et elle ajoute pour me convaincre : « Ce n’est pas un protocole difficile, il n’y a pas beaucoup de prises de sang (là, je dois être intéressé semble-t-il) mais ça inclut des électroencéphalogrammes, ça ne vous embête pas ? » Elle semble s’attendre à un refus de ma part, mais je n’ai aucune idée de ce qu’est cet examen, et la perspective de gagner 2400 euros en quatre jours me séduit assez. Par ailleurs je ne connais rien à la pharmacopée et le médicament n’a, a priori, rien de pire qu’un autre. J’accepte donc, et mon interlocutrice me rassure en précisant que le test n’a d’autre effet secondaire attendu qu’un vague assoupissement.

    Plus tard, il m’est apparu que cette personne, dans le cadre d’une activité comparable au travail à la chaîne, avait la responsabilité de réaliser l’adéquation entre l’offre et la demande de tests. Certains candidats sont au fait des tests faciles ou non, rentables ou mal payés, et certains protocoles sont plus demandés que d’autres. En écoutant des conversations, j’ai constaté des problèmes d’organisation. Il faut qu’un nombre voulu de volontaires soit trouvé dans de brefs délais pour chaque test : « Pour le test X il manque encore des gens, et ça commence dans trois jours », « Pour le protocole Y de la semaine prochaine, j’ai encore trouvé personne », etc. L’un des critères qui conduit les candidats à éviter certains protocoles est la nature et le nombre des examens préliminaires. Après chacune de mes visites j’ai été étonné de constater que d’autres volontaires, examinés le même jour, avaient « eu » de meilleurs tests que moi, c’est-à-dire mieux payés ou moins pénibles, ou les deux. Il est probable que comme dans d’autres institutions, les nouveaux se voient moins bien traités ou soient utilisés pour faire ce que personne d’autre ne veut faire. En outre, le sujet débutant n’a aucun autre moyen de savoir quels sont les protocoles disponibles que cet entretien rapide avec la responsable[10]. Il est tout à fait possible à cette dernière de dire à un candidat qu’il n’y a rien correspondant à ses attentes, même si ce n’est pas exact. Elle peut ainsi l’obliger à revoir ses exigences et à accepter d’autres tests[11]. Plusieurs discussions avec des volontaires expérimentés m’ont montré que ce fait est connu et que les candidats expérimentés essaient d’entretenir de bonnes relations avec les responsables de la distribution des tests. Il existe donc un marché informel des tests pour lequel la connaissance des procédures de l’institution, et le capital relationnel sont des atouts que le candidat peut faire valoir.

    Mais le choix du protocole n’est que le début du processus, et avant d’être autorisé à commencer les examens médicaux de sélection, je dois encore répondre à des tests de personnalité à l’étage supérieur. Je ne sais pas à qui m’adresser, des gens circulent sans s’arrêter. Finalement, jeune homme en blouse blanche accepte la corvée. Nous nous retrouvons dans une petite salle où je dois, dans un temps limité, répondre à une série de questions concernant mes réactions dans certaines situations. Cela me semble saugrenu: « Vous arrive-t-il de vous sentir très heureux ? Aimez-vous parler aux gens, même si vous ne les connaissez pas? Avez-vous des périodes d’abattement ? Aimez-vous faire la fête ? Vous arrive-t-il d’être triste ? » Que répondre ? J’ai envie de dire que tout dépend du contexte mais cette case n’est pas dans le QCM. Je coche sans trop réfléchir en me plaignant à l’infirmier de l’étrangeté des questions.

    D’après les résultats qu’il me rapporte quelques instants plus tard, j’apprends que je suis « trop extraverti » pour participer au protocole. J’ignore les critères de décision qu’utilise le test, mais le résultat me semble arbitraire, comme s’il avait été conduit dans la précipitation sans se soucier des conditions de réalisation (compréhension des question, interprétations que font les sujets quand aux « bonnes » réponses à donner, etc.) et avec pour seul souci d’aboutir rapidement à une décision d’éviction ou de sélection.

    Il me faut donc redescendre choisir un autre protocole, et j’ai alors sérieusement l’impression d’être en train de perdre cette matinée que l’on m’avait obligé à commencer à jeun. Comme je m’y attends, la dame des plannings n’est pas ravie de me revoir, car il est presque onze heures elle attend la pause avec impatience. Aussi nous nous décidons vite. Elle me propose un médicament déjà commercialisé qui facilite la circulation sanguine en précisant que cela n’aura aucun effet sur un volontaire sain. La durée du test est courte : deux fois deux jours et demi, plus bilan final. Lors de la première période d’hospitalisation, le produit  nous sera administré par goutte à goutte sous perfusion, et lors de la deuxième sous forme de gel. J’affirme que cela ne me dérange pas, tout comme les prélèvements sanguins qui sont, dit-elle, « assez nombreux », car l’indemnisation vient facilement à bout de mes réticences : 3500 euros pour cinq jours. J’accepte donc en cinq minutes de tester un médicament dont je n’arrive même pas à retenir le nom, dont je ne connais pas les véritables effets et qui me sera administré à des doses que je suis incapable d’apprécier.

    Nouvelle étape du processus : la responsable me donne un document de six pages (le «consentement de participation ») que je dois lire avant d’être soumis aux examens médicaux d’entrée. En signant je certifie notamment que j’ai été parfaitement informé des buts de l’étude, de la nature exacte du produit, et des risques potentiels de l’étude, ce qui me semble loin d’être exact puisque les responsables sont avant tout préoccupés de compléter rapidement leur feuille de planning. Pour remplir le formulaire, je dois enfin simplifier mon nom en cinq lettres pour porter ensuite ce code en badge au cours du protocole, c’est-à-dire que le personnel me désignera en usant de ce pseudonyme. Je suppose alors que cela sert préserver l’anonymat des participants pendant les interactions quotidiennes.

     

    Avant de commencer les examens il faut entrer dans la grande salle des prélèvements et attendre près d’un présentoir que le médecin examine notre dossier. Je me tiens debout, un homme en blouse blanche me dit sèchement de m’asseoir pendant qu’un autre s’exclame qu’il y trop de bruit dans la salle. J’ai l’impression d’être dans une caserne. Mon tour venu, une jeune fille en blouse me dit sans même me regarder de me déchausser et de me tenir sur la balance électronique placée à côté. Elle indique 62 kilos, soit 11 de moins que mon poids habituel. Je signale que la mesure est fausse mais la fille me répond « c’est ce qui est écrit en tous cas ». Soit. J’attends et le médecin prend mon dossier.

    « Vous n’avez pas de problèmes de santé particuliers ? »

    « Non ».

    « Pas d’allergies ? »

    « Non plus ». J’ai pris l’habitude de mentir.

    « Ah! Mais je vois un problème de poids. Vous ne pouvez pas participer au protocole, votre poids est en dessous des barèmes ».

    Je lui répète alors ce que j’avais dit à la jeune fille, et il m’invite sèchement à retourner sur la balance qui cette fois daigne me rendre mes 73 kilos et demi. « Ah! Mais ça va » dit-il.

    Je suis abasourdi et réalise alors que toutes ces procédures sont extrêmement bâclées. Le personnel et jeune et sans doute mal formé et son seul objectif semble être de « traiter » sans perdre de temps un flux de candidats, c'est-à-dire trier des personnes et remplir des formulaires sans grand soucis de la qualité des informations recueillies.

    Alors que mon impatience va croissant, une autre jeune fille me dit de passer à la tension. Je m’allonge, mais le relevé indique bien entendu une tension trop haute. Le deuxième relevé, cinq minutes plus tard, est sans doute meilleur, mais, mais on m’oublie, et l’appareil prend automatiquement une bonne dizaine de mesures. Un homme passe et me tutoie  : « Eh bien! Mets-toi debout maintenant, qu’est ce que tu attends ? ». Il me semble inutile de lui répondre que j’attends qu’on me dise ce que je dois faire, car tout le service semble mal organisé. Debout ma tension est trop haute, et seul le troisième relevé est dans les normes. « Ouf! T'as eu chaud, me dit-il, si le troisième était pas bon t’étais recalé. » Cela me parait grotesque puisque dix minutes avant on m’avait dit d’attendre jusqu’à ce que la tension redescende, et que je me doute que l’on n’exclut pas des volontaires pour si peu. Il y a beaucoup de gens à examiner en même temps et il est certain que le personnel prend des libertés avec les règles sévères en apparence.

    Après cela, je passe en salle d’électrocardiogramme. Les électrodes ne tiennent pas sur ma poitrine, et la jeune fille doit utiliser un gel froid et gluant. C’est l’occasion d’échanger quelques propos sympathiques. Je remarque que le petit personnel soignant, en majorité jeune et féminin subit la pression d’un travail intense. Dans les moments de calme certaines sympathisent avec les volontaires qui sont presque tous des garçons du même âge. Celle qui s’occupe de mon électrocardiogramme s’y prend à deux reprises, le premier ne lui semblait pas bon, sans qu’elle sache me dire pourquoi. Elle m’explique qu’elle ne sait pas lire les graphiques mais qu’elle sait quand il faut les refaire.

    L’étape suivante m’emmène au dernier étage pour le bilan physiologique. Je croise un homme en chemise d’une cinquantaine d’année, c’est « l’anesthésiste », prêt à s’occuper de moi : « Ça va, vous êtes en forme ? Vous faites du sport ? Tout va bien ? Pas de troubles particuliers ?  ». Bien évidemment, tout va pour le mieux selon moi. Il signe, je signe, c’est fini. Je me demande alors à quoi sert ce simulacre d’examen et je me dis qu’on aurait pu m’épargner la corvée de répondre trois fois aux mêmes questions.

    Il ne reste ensuite que la prise de sang, effectuée par une jeune femme aux gestes précis et rapides qui ne m’adresse pas un mot et ne me regarde même pas. Les examens sont terminés et je descends au bureau des plannings où la responsable, qui cache mal son impatience derrière un sourire tendu, me donne la feuille de rendez-vous réglant mes prochaines visites. Il est midi et demi, j’ai passé ma première demi-journée chez Medix.

     

    L’organisation du protocole : une médecine rapide sans respect pour les volontaires

     

    Deux jours plus tard la standardiste m’informe par téléphone que mon bilan d’entrée est valable: ils n’ont donc pas tenu compte de mes fraudes.

    A mon arrivée, vers 18 heures, la réceptionniste m’ordonne de monter en « réa » où une infirmière m’attribue un lit. J’en profite pour discuter avec les autres volontaires. Nous sommes quatre à tester le produit cette semaine. Deux étudiants et un employé à mi-temps à La Poste, âgé de 35 ans. Les deux étudiants font leur deuxième passage de 60 heures. Ils nous disent qu’on a vraiment fait le mauvais choix avec ce test : « les prises de sang c’est un vrai calvaire, 25 pour le premier séjour, 24 pour le second, on vous réveille la nuit pour vous piquer ». J’avais mal lu le consentement et ce détail m’avait échappé, mais c’est un peu tard pour reculer. D’autres volontaires arrivent ensuite. Mon voisin d’en face a 28 ans, il est garde du corps et m’explique : « chez nous le boulot ça va ça vient, alors quand j’ai une période calme je fais ce genre de trucs ». Mon voisin postier, lui est en vacances et compte partir ensuite se reposer une semaine dans le Massif Central. Plus au fond il y a une jeune étudiante qui teste un produit lié à la contraception.

    Dans l’autre salle se trouve un groupe enfermé pour trois semaines pour un protocole payé 1800  euros. Ce sont apparemment des étudiants pour la plupart et ils ont l’air de s’ennuyer. Certains jouent aux échecs ou aux dames, d’autres regardent la télévision ou lisent. De notre côté, nous passons la soirée à discuter en attendant du nouveau, et à 23 heures le médecin de garde vient éteindre les lumières et le récepteur T.V. Il nous donne des flacons pour recueillir nos urines le lendemain et nous demande de ne pas boire, mais je le ferai quand même. Pendant la nuit, tout le monde dort mal, car il y a du bruit et de la lumière à côté.

    Le lendemain nous sommes réveillés à sept heures et une foule ne tarde pas à apparaître. Il y a l’anesthésiste, le médecin responsable du protocole et plusieurs jeunes gens en blouse blanche, les préleveurs. Ils sont chargés des prises de sang et des examens et disent avoir  un certificat de préleveur, mais j’ignore de quoi il s’agit. Ce sont certainement des jeunes sans diplômes : C. nous expliquera même qu’il a été un moment « à la rue », et qu’il n’est donc pas mécontent d’être aujourd’hui chez Medix, même si le salaire est bas et qu’il habite loin de l’institut. Personnel et volontaires doivent supporter les ordres et la pression des médecins, hautains et désagréables dont le type est M.G, le « directeur ». Il porte toujours un noeud papillon, parle peu, marche vite et ne salue personne. On le voit partout. Le matin il fait parfois les prélèvements au deuxième étage et toute la salle est alors en ébullition. Personne ne veut être surpris en flagrant délit de négligence. Ce directeur presse son équipe, exige le silence, se plaint que les tubes n’arrivent pas ou que les volontaires gênent le passage. Dans cette atmosphère, les « cobayes » (nous nous donnons nous même ce surnom bien que l’institution, elle, l’évite soigneusement) sont traités avec peu de considération, un peu comme du bétail ou des instruments. Le personnel en général hésite entre le "tu" et le "vous" à notre égard, peu nous saluent et certains nous répondent sèchement, comme à des enfants. Je remarque que le personnel soignant a peur des médecins et qu’une seule personne semble leur tenir tête, D. qui me dit être la seule infirmière diplômée de l’institut[12]. Elle est employée comme prestataire, ce qui la rend moins dépendante de Medix : « Ils ont besoin de moi alors je prends un peu mes libertés ».

    Quelle que soit l’attitude des préleveurs, c’est en tous cas, pour nous, la sensation de fatigue qui domine, car dès le matin on nous demande de rester éveillés, sans raison apparente et sans tenir compte de notre lassitude. Certaines préleveuses réveillent ceux qui se rendorment, d’autres les laissent se reposer ou feignent de vouloir les réveiller. Je constate qu’elles font mine de respecter certaines règles qu’elles n’approuvent pas forcement ou qu’elles ne comprennent pas.

     

    Le test commence véritablement quand le médecin responsable nous place une perfusion de produit sur le bras gauche. Une infirmière fixe ensuite un petit capteur sur notre poitrine qui enregistre le rythme des battements cardiaques. Au-dessus de 90 pulsations par minute un petit bip se fait entendre. Je suis stressé par tous ces préparatifs et quand je me redresse le signal attire l’attention. Je ne vois pas du tout à quoi sert tout cela et j’imagine que se rendre aux toilettes doit devenir une expédition, car il faut traîner la perfusion avec soi et détacher les capteurs. En attendant, la routine du test se prépare : à heures fixes, les préleveurs nous font subir électrocardiogramme, prise de tension et prise de sang et nous devons remettre des flacons d’urine à intervalles réguliers. Le médecin insiste pour que les horaires soient respectés à la minute près, ce qui me semble alors être une nouvelle exigence aussi tatillonne qu’inutile. Alors que la procédure se met en place pour nous, elle commence pour d’autres qui arrivent et s’installent. A huit heures, le dortoir est plein, et les préleveurs, débordés, doivent s’occuper en même temps des examens spécifiques de chaque protocole.

    J’essaye de me rendormir, mais les prises de sang se succèdent à rythme rapide et je suis obligé de garder un oeil sur la pendule pour faire signe aux préleveurs quand vient mon heure. Ils vont de lit en lit et parfois le relevé ou le prélèvement se fait avec quelques minutes de retard. Au début, ils ont du mal à mémoriser les heures de chacun, mais comme le médecin est parti, cela ne semble pas préoccupant.

    La journée se passe ensuite à somnoler, à regarder la télévision ou à discuter. Certains volontaires sympathisent avec les préleveuses ou font des tentatives de drague. L’ambiance dans la salle est agréable mais, comme d’autres, j’ai du mal à supporter la télévision sans interruption.

    En fin d’après midi pourtant, je commence à réaliser pourquoi le protocole est bien indemnisé. Le bras gauche étant immobilisé, tous les prélèvements se font sur le droit. Les premiers ne sont pas douloureux, mais rapidement la veine se tuméfie. Au bout du dixième, nous sommes pleins d’ecchymoses et les préleveuses ne savent plus où nous piquer. Je dis à l’une d’elle de changer de veine, mais ce faisant elle se rapproche du cartilage, et l’aiguille provoque une douleur vive. La fatigue aidant, certaines préleveuses se font moins adroites. Exaspérés, les deux garçons qui avaient commencé le test la semaine dernière demandent un cathéter, mais la jeune fille répond sans entrain qu’elle n’est pas habilitée à les poser. Seule D., l’infirmière pourrait le faire, mais elle n’ose pas sans l’avis du médecin. Or celui-ci n’est pas là et personne ne juge important d’aller lui en parler. Aussi, continuent-elles à nous piquer jusqu’à la nuit, quand le rythme des prises de sang finit par s’espacer. C’est alors qu’intervient le médecin de nuit qui se charge de nous réveiller. Il est d’origine asiatique, plus doux que les autres, presque timide. On lui reparle du cathéter mais il dit que ce n’est pas à lui de décider. Il a l’air fatigué et je le soupçonne d’avoir une autre activité dans la journée. Bien qu’aidé en bas par des préleveurs qui piquent des veines à la chaîne, il parait débordé et doit faire le va et vient entre les étages. Au milieu de la nuit, il a dix ou quinze minutes de retard sur les horaires prévus, ce qui n’a pas l’air de l’inquiéter, comme si l’absence d’un médecin en chef permettait plus de souplesse dans le suivi du programme.

    Le deuxième matin nous sommes encore plus fatigués et le médecin refuse de placer le cathéter car « ça risque de gêner  ». Je vois surtout que cela ne le gêne pas de voir que nous ne pouvons presque plus plier le coude. La préleveuse est obligée de commencer à piquer une troisième veine, presque au bord du bras, ce qui rend l’opération nettement plus douloureuse. Je ne pensais pas à cela quand j’ai dit que les prises de sang ne me dérangeaient pas. Mais certains volontaires doivent faire face à des situations plus préoccupantes encore. Dans une petite salle isolée, je retrouve à l’occasion d’un déplacement vers les toilettes, le jeune garde du corps. Son protocole est très dur : trois jours couché sous surveillance permanente. Il teste un dérivé de la morphine. Il semble à moitié inconscient et les deux tubes qui sortent de ses narines lui donnent l’air d’un grand blessé. Un autre volontaire commente la situation en me disant : « Il faut être fou pour accepter ce test, le précédant avait eu des problèmes, des arrêts respiratoires, à cause de problèmes de dosage, je crois ». Cela explique sans doute les 600 euros d’« indemnisation » pour deux fois trois jours. J’en retiens qu’il ne faut pas accepter n’importe quoi, et mon voisin est d’accord. Il a participé à plusieurs protocoles et précise qu’il a toujours veillé à ne prendre que des produits qui n’avaient pas l’air dangereux. J’ignore si l’anecdote des arrêts respiratoires est exacte mais en regardant mes veines violacées je me dis que c’est bien possible. Notre impression est que l’institut fait appel à des garçons plus téméraires que les autres pour tester des produits mal connus contre une rémunération alléchante. Mon entourage m’avait mis en garde en me disant que cela ne valait pas la peine de risquer sa santé pour quelques milliers de francs et j’avais répondu qu’il suffisait de faire attention au produit. Mais je constate alors qu’il n’y a qu’au moment du test que le volontaire sait exactement ce qu’il est en train de faire. Avant d’accepter, tout se passe trop vite et une fois à l’institut on est pris dans un engrenage : on va de prises de sang en relevés sans que l’on nous demande notre avis et sans être tenu au courant de l’évolution du test. Une fois perfusés, nous sommes de simples sujets d’expérience et en aucun cas des patients, suivis, informés, rassurés. Plus le test avance plus cette impression d’être instrumentalisé se fait pressante et désagréable.

     

    Ma deuxième nuit se passe dans l’une des chambres du deuxième étage que je partage avec un jeune étudiant en physique. Il veut gagner un peu d’argent pour s’acheter une voiture et son test lui impose de passer quatre nuits chez Medix étalées sur un mois, mais il se dit satisfait (il a peu de prises de sang). Pour moi, l’épreuve continue et, comme je n’ai plus de perfusion, il me faut maintenant aller à l’étage pour les examens. Cela signifie qu’il faut se lever deux fois en pleine nuit pour se faire piquer. C’est d’autant plus désagréable que le sommeil accentue la sensation de douleur sur ma troisième veine qui n’a déjà plus d’espace vierge. Au deuxième réveil, je compte les dernières prises de sang qu’il nous reste et en entendant mes réclamations, l’un des « infirmiers » nous dit avec un sourire goguenard de porter sur nous le consentement quand on sortira, au cas où la police nous « prendrait pour des drogués ». Je suis fatigué et je trouve cet humour douteux, à l’image du dédain qu’affiche tout le personnel à notre égard, femmes de service comprises

     

    Le deuxième séjour est, en tout point, semblable au premier. La seule différence est que maintenant je connais la maison. Je retrouve des visages connus, et je salue certains préleveurs sympathiques. Confiant, j’ai pris des libertés avec les interdits fixés par la procédure : j’ai fait du sport dans l’intervalle, j’ai bu du thé et je viens sans être à jeun. Personne ne s’en aperçoit. Le protocole se déroule d’ailleurs dans de meilleures conditions tout d’abord parce que nous n’avons plus à supporter la perfusion (remplacée par l’application d’un gel) ensuite parce qu’en voyant nos bleus le médecin finit par accepter le cathéter : « Voyons on ne peut pas les laisser comme ça » dit-il à l’infirmière. Je me demande alors pourquoi il n’est pas arrivé à la même conclusion lors du premier séjour. Le cauchemar des prises de sang prend donc fin mais mon tube se ferme mal et chaque prélèvement provoque le versement d’une petite flaque de sang sur les draps et le sol. Cela devient une occasion de plaisanter avec l’infirmière qui répète volontiers : « eh bien, toujours un problème avec ces volontaires ».

     

    Volontaires et préleveurs : la précarité des jeunes au service du « capitalisme de la santé ».

     

    Quand il n’est pas sous la pression hiérarchique, le personnel chargé des menus services, et en particulier la partie la plus jeune, est volontiers compatissant à notre égard. Les préleveurs ayant plus d’ancienneté en revanche, sont souvent secs et plus préoccupés du traitement du flux de volontaires que de l’établissement de relations amicales. Ajoutons qu’il n’est en général guère possible de se lancer dans de grandes discussions puisqu’un effectif réduit se voit imposer un grand nombre de tâches. La relative désorganisation est apparente à certains moments : une préleveuse en cherche une autre, une troisième est appelée en bas, une quatrième dit qu’elle ne peut se charger seule de tous les gens de la salle et attend de l’aide; on cherche le médecin, on ne le trouve pas et des volontaires arrivent pour le bilan physiologique. Les tâches quotidiennes paraissent simples et sont répétitives, mais la difficulté vient du flux à traiter et de l’obligation de respecter les procédures. Dans ce contexte, je remarque, le deuxième jour, l’arrivée d’une nouvelle. Une préleveuse est chargée de lui montrer comment fonctionne la réanimation, mais elle l’abandonne rapidement et vaque à ses occupations. La jeune fille reste donc seule et ne sait pas exactement quoi faire. Le médecin passe et lui donne des informations, mais il va vite et ne lui laisse pas le temps d’assimiler. Elle parait perdue et je constate que si les opérations s’enchaînent sans problème en réanimation c’est parce que les agents sont habitués à la succession de ces tâches identiques[13].

    Le volontaire a au départ l’impression de se confier à un hôpital, mais il réalise ensuite qu’il est utilisé par une « boîte à tests ». Medix fonctionne en effet à plein rendement pour organiser en même temps un grand nombre de protocoles en s’appuyant sur le travail standardisé et répétitif d’un petit personnel soignant, jeune, et aux qualifications incertaines. Dans le cadre de cette routine, les volontaires sont traités comme l’élément humain indispensable qui, en se soumettant aux consignes de fonctionnement, doit permettre la bonne marche des opérations. Le comportement des agents de l’institution avec les sujets est donc marqué par l’ambiguïté. Il existe un respect de façade pour conforter la légitimité et la respectabilité de l’institution, qui rappelle les stratégies de présentation observées par D. Ball dans une clinique d’avortement[14]. Mais, en parallèle, on constate un certain mépris dans la pratique quotidienne, du fait du statut, déprécié socialement, de jeunes gens obligés de se vendre à la science[15]. Ce fait est accentué par les nécessités du traitement de flux importants de personnes. Le seul élément qui atténue l’impression désagréable que laisse un séjour chez Medix vient de la complicité qui peut se créer, dans certaines conditions, entre des préleveurs jeunes et mal payés, et les cobayes du même âge et dans des situations financières précaires. Les deux catégories se savent dans des situations comparables et mesurent ce qui les rapproche. En situation précaire, ils apprécient ce que Medix peut offrir mais ils sont conscients de n’être que des instruments mal payés dans un système où l’essentiel des profits leur échappe complètement.

     

    En conclusion, il faut donc revenir sur l’idée que c’est une logique de profit au moindre coût qui commande l’organisation des tests de médicaments. Alors qu’il faut dix ans pour mettre sur le marché un nouveau médicament, des instituts privés se font concurrence pour boucler dans les meilleurs délais les tests que demandent les laboratoires. L’observation participante ne permet pas de décrire l’ensemble des étapes qui constituent un test de médicament mais elle montre plusieurs effets de la recherche du profit dans un institut qui organise des essais.

    D’abord, l’afflux des demandes de tests (évident quand on écoute les conversations du personnel) et les tentatives pour assurer leur démarrage et leur déroulement dans les délais les plus brefs conduisent à une évidente désorganisation administrative. Le personnel est débordé, l’archivage et le suivi des dossiers des volontaires parait insuffisant, la sélection est effectuée dans la hâte. Dans leurs pratiques quotidiennes, les agents semblent plus préoccupés de traiter rapidement des dossiers que de s’assurer de l’exactitude des renseignements recueillis, et de la rigueur des procédures. Ainsi, les critères de sélection sont expéditifs et apparaissent presque irrationnels aux observateurs : tri en fonction de la couleur de la peau, de l’indication d’une balance, du résultat d’un test psychologique effectué dans la hâte, d’un antécédent médical mineur, etc. En même temps, les dossiers sont mal suivis et les agents font ce qu’ils peuvent pour travailler en perdant le moins de temps possible : les déclarations des volontaires ne sont pas vérifiées, les examens faits la nuit sont moins fiables, etc. On observe en fait le résultat de la juxtaposition d’une exigence théorique de sélection sévère avec les adaptations pratiques des exécutants à une situation de surcharge de travail.

    Pour accroître les profits, l’institut étudié utilise un personnel jeune, peu formé, mis au travail en équipes réduites, et en fonction d’horaires contraignants. La deuxième conséquence importante de la course au profit dans l’organisation du système des tests est donc l’utilisation de jeunes en situation professionnelle incertaine à la fois pour effectuer les essais et pour s’y soumettre. Il en résulte une pression accrue sur ces jeunes exécutants et un comportement peu respectueux des volontaires, traités comme une masse qui doit être disciplinée et utilisée de façon à obtenir les résultais attendus dans les meilleurs délais. On observe des moments de complicité entre les deux catégories mais qui ne vont pas au delà de sourires ou de signes d’encouragements. Dans la pratique, le personnel reporte sur les cobayes les pressions auxquelles ils sont eux même soumis.

    La rentabilité du système est donc assurée par le fait qu’une partie de la jeunesse, en situation professionnelle ou financière peu stabilisées, est prête à accepter une certaine forme de soumission aux intérêts d’entreprise privées liées au secteur de la production pharmaceutique : exécution de tâches répétitives et peu payées ou « prêt » de son corps pour des essais sur lesquels ils n’ont que peu de connaissance et pas de contrôle. Les volontaires partent du principe que l’acceptation de certaines souffrances est compensée par la possibilité de gagner rapidement de l’argent. Ils ont l’impression de se trouver au sein d’une structure de type hospitalier, ce qui les rassure et les conduit à accepter toutes sortes d’expérimentations sans avoir une conscience très claire des dangers auxquels ils s’exposent. Une fois les tests conclus et fournis aux laboratoires, les consommateurs, de la même manière que les volontaires, font confiance à l’industrie pharmaceutique parce qu’ils sont certains que le processus de validation est conduit en tous points « selon des procédures scientifiques ». Le but de ce texte n’est pas de montrer que les médicaments proposés au public sont mal testés. Il suggère simplement que les intérêts financiers et commerciaux des différents acteurs impliqués dans la mise au point des médicaments ont des effets concrets et importants mais mal évalués sur le processus. La prétention à la « scientificité » qui entoure ces pratiques fournit l’écran qui conduit le grand public comme les cobayes à accepter ce qu’on leur propose.

     

    Fin de  ce témoignage

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Louer son corps à la science :

    L’organisation des essais de médicaments sur l’homme

     

    Christophe Brochier[16]

     

     Ce texte est un modèle de compte rendu d’observation sociologique comme d’autres de mes étudiants en firent , tous dédaignés  par ma profession .Trop intéressants peut-être ? riches de détails significatifs bien écrit  méticuleux dans le choix des  caractéristiques retenues  clair et synthétique ;  sans pathos ni préjugé

     On retient immédiatement l’essentiel Tout ce qu’on apprend est qui lez fondement e notre société medicamentisée  était inconnu de nous  Tout nous rend stupéfait que notre « santé » soit » manipulée par des procédés « Moyen –Ageux » dans  les rapports humains et sociaux »  Nous vivons donc dans un monde de la médecine qui nous raconte n’importe  quoi et cela nous suffit Notre incuriosité est phénoménale et la hauteur de l’exploitation par le capitalisme des labos

    On sera amusé ou heurté par 

    -Le racisme à rebours  et le féminisme qui protègent en fait les non –européens ... et les femmes

    -La caractère brouillon et « improvisé » de la sélection raciale

    - les dures conditions de travail »  même si ce n’est pas un réel travail que de prêter son corps à la « science »  qui exploite allégrement la jeunesse en manque d’argent pour   l’agrément ou la qualité de notre vie quotidienne

    Madame la  Ministre avez-vous envoyé vos enfant ou petits enfants pratiquer ces tests  ou les avez vous passés vous même ?

    Votre silence  parle amplement  

     

     

    L’exemple du Teldane, retiré de la circulation pour avoir causé la mort de plusieurs personnes, met en lumière le fait que les effets secondaires des médicaments que nous utilisons quotidiennement peuvent être mal connus. Une loi oblige les laboratoires pharmaceutiques à des tests rigoureux mais le grand public ignore comment dans la pratique ces essais sont réalisés. Peu de gens savent que les médicaments mis au point sont testés sur des volontaires à travers plusieurs étapes successives. La première concerne des sujets sains en nombre réduit et a pour objet de vérifier la tolérance et la toxicité du médicament. La phase 2 concerne des sujets malades en plus grand nombre, 100 à 200 et vise à déterminer la dose minimale à partir de laquelle le produit est actif, la dose maximale supportable et, entre les deux , la dose moyenne efficace. La phase trois étend l’expérimentation à plusieurs centaines de malades, avec comparaison par rapport à des produits de référence. Après cela, le laboratoire peut demander une autorisation de mise sur le marché

    J’ai participé à des tests en phase 1, et je propose ici le récit de cette expérience, à partir d’un point de vue sociologique, celui du « cobaye » en m’appuyant sur plusieurs participations à des essais dans un institut parisien spécialisé (que j’appellerai Medix) entre 1994 et 1996. On verra que, confiée à des instituts privés, l’évaluation des médicaments se fait dans la précipitation : l’objectif étant que le plus grand nombre de médicaments puisse être testé le plus rapidement possible et au moindre coût. 

     

    L’organisation matérielle des tests à Medix- Paris

     

    Parmi les nombreux centres existant en France, certains sont installés au sein d’hôpitaux, d’autres comme Medix ont des locaux  indépendants. Le candidat aux tests a donc le choix. J’ai commencé par me rendre chez Medix, puis j’ai essayé de participer à des tests chez « Farmex » (pseudonyme), avant de m’inscrire sur une liste d’attente au CET (Centre d’Evaluation Thérapeutique). Les deux premiers sont des instituts ayant des locaux indépendants situés à Paris, le dernier est installé dans un grand CHU de province. A Paris, d’après des candidats informés, d’autres centres existent dans des hôpitaux, et proposent régulièrement des protocoles (terme d’usage) comparables à ceux de Medix.

    Medix occupe un grand bâtiment de quatre étages, flanqué de deux petites annexes en préfabriqué. L’enseigne est discrète, et ne renseigne pas sur la nature des activités du centre. De l’extérieur, on a l’impression qu’il s’agit d’un laboratoire d’analyses médicales. En entrant, c’est la sensation d’être dans un hôpital en pleine activité qui domine. Des hommes et des femmes en blouses blanches circulent avec empressement. A l’entrée, un bureau d’accueil où une queue se forme des huit heures du matin et où le téléphone sonne en permanence. En face, une petite salle où trois ou quatre femmes en blouse sont chargées d’attribuer des tests aux candidats choisis et d’établir les plannings. Le premier et le deuxième étage abritent des chambres pouvant recevoir entre deux et quatre personnes avec deux douches sur le palier. Le troisième étage concentre les diverses salles d’examen. Le dernier étage est réservé à la « réa » : deux grandes salles dans lesquelles sont disposées deux rangées de 8 lits se faisant face, chacune surplombée par deux postes de télévision. Au fond de la salle de droite on trouve, outre les salles de bains et les uniques toilettes, deux petites pièces. L’une sert aux électroencéphalogrammes, l’autre au suivi intensif de certains sujets. Les pré-fabriqués minuscules à l’extérieur sont destinés aux tests de cosmétiques (des expériences visant à tester des produits qui ne sont pas des médicaments).

    L’institut a considérablement grossi. Quelques années auparavant, tout se passait dans les préfabriqués puis, l’activité s’est étendue à l’immeuble adjacent. Mais l’espace semble continuer à manquer. Ainsi, la distribution des chambres est souvent un problème pour la responsable des plannings, et les sujets sont logés à plusieurs. En salle de réanimation, garçons et filles peuvent être mélangés ce qui oblige à utiliser un paravent pour certaines manipulations.

     

    Les candidats aux protocoles : chômeurs et étudiants  

     

    J’ai appris l’existence de Medix en 1993 par l’intermédiaire d’un ami qui depuis plusieurs années finançait ses études en participant à des protocoles (le terme d’usage pour les tests). Je commençai ma thèse l’année suivante et je me suis donc intéressé à cette solution pour subvenir à mes besoins. Le montant des rémunérations (qu’on appelle indemnisations) est environ de  650 euros par jour passé à l’institut. Le sujet (on parle de volontaire) peut donc gagner rapidement des sommes non négligeables à condition de ne pas dépasser un cumul de vingt-cinq mille francs par an et de respecter un délai de trois mois entre chaque expérience. Mais il n’y aucune vérification possible puisqu’il n’y a pas de fichier national des cobayes  et qu’ils peuvent aller à l’étranger  pour en tester

    Le deuxième avantage pour le testeur est que Medix propose en permanence un nombre important de protocoles. Le sujet peut choisir entre plusieurs tests s’étalant sur des durées diverses, entre trois jours et trois semaines. Si certains exigent une hospitalisation, d’autres n’imposent qu’un ou deux passages par jour pour des prises de médicaments ou des examens. Le volontaire négocie le choix du protocole avec la responsable du planning, mais l’expérience, une fois commencée, ne peut être interrompue.

    Medix attire donc principalement des étudiants désargentés[17] et des chômeurs. La « clientèle » est jeune, âgée de vingt à trente-cinq ans et presque totalement masculine. Les femmes que j’ai rencontrées participaient à des tests liés à la contraception[18]. Sur les murs, au rez-de-chaussée et au troisième étage, des panneaux annoncent que l’institut recherche des femmes ménopausées pour participer à certains protocoles. D’autres proposent des tests spécifiques pour les allergiques ou les gros fumeurs.

    L’institut compte sur le bouche à oreille pour les recrutements. Même chez les jeunes (la catégorie potentiellement la plus intéressée), peu connaissent l’existence de ces centres qui tiennent à rester discrets[19]. Lors de mon premier contact en 1994, la standardiste me demanda qui m’avait indiqué l’existence de l’institut, et j’ai dû donner le nom de mon camarade. Par la suite, j’ai moi-même fait la publicité de Medix auprès d’amis en quête de revenus complémentaires. Il est possible que cette préférence pour l’indication mutuelle corresponde à une stratégie d’évitement des candidats que l’institut juge indésirables. Cependant la salle d’attente pour les pré-admissions est pleine dès huit heures du matin et il faut en principe patienter une à deux heures avant d’être examiné par le médecin. Cela ne permet pas d’affirmer que Medix a toujours à sa disposition le nombre de volontaires voulus (la sélection en écarte certains et les besoins varient dans le temps) mais on constate au moins que l’information circule et qu’un flux constant amène de nouvelles recrues.

     

     

    Manoeuvrer pour être admis : la rigueur de la sélection n’est qu’apparente

     

    Mon premier contact avec Medix s’est fait par téléphone (mon ami m’avait averti qu’il valait mieux dire le mot protocole dans la discussion : « ça fait plus au courant »). La standardiste me lit avec un ton sec et pressé  une liste de questions[20].

    Avez-vous déjà participé à un protocole ?

    Avez-vous déjà passé la visité d’admission ?

    Avez-vous des antécédents allergiques ou hépatiques ?

    Avez-vous de l’asthme ?

    Avez-vous subi des opérations chirurgicales ?

    Avez-vous une couverture sociale ?

    De quelle origine êtes-vous ?

    Quel est votre âge ?

    Avez-vous effectué votre service militaire ?

    Que faites-vous dans la vie ?

    Comment avez-vous connu Medix ?

     

    J’ai constaté plus tard, que l’ordre et la nature des questions peuvent changer. La standardiste, débordée, semble vouloir perdre le moins de temps possible avec ce premier tri des candidats et elle pose ces questions sans laisser le temps de répondre avec précision. Le point crucial concerne les antécédents médicaux. Les allergiques ou les malades du foie sont immédiatement écartés. La question sur le service militaire a pour objectif de savoir si le candidat a été réformé. L’un de mes amis qui n’avait pas prévu cette question a dû reconnaître que l’armée n’avait pas voulu de lui parce qu’il avait prétendu souffrir de problèmes mentaux, ce qui lui a valu un refus. La troisième question qui concerne « l’origine » du sujet est surprenante et inattendue. Ma première réaction a été de demander ce que ce mot signifiait. A quoi on m’a répondu : « êtes-vous de type indo-Européen » ? J’ai répondu que je pensais que oui car mes parents étaient français. Il semble donc que Medix cherche à éviter les candidats qui ne seraient pas blancs et je n’ai effectivement pas rencontré en 1994 et 1995 de candidats noirs, ou maghrébins.

    Pour vérifier l’existence de critères « raciaux » de sélection, j’ai téléphoné en 1997 en prétendant m’appeler Nasser Yissid, de parents algériens mais de nationalité française. La standardiste m’a immédiatement répondu que l’institut n’avait besoin pour l’instant que de « candidats de type caucasien », mais qu’elle me gardait sur son fichier Le personnel emploie donc des mots d’apparence scientifique (type caucasien ou indo-européen) pour éviter de dire clairement que les gens de couleurs ou les étrangers ne sont pas les bienvenus. Medix ne souhaite pas recruter des « non caucasiens  » et tous les gens que l’on peut voir dans l’institut sont blancs, à part les femmes de ménage, toutes africaines. J’ignore si cela est justifié par des différences physiologiques selon l’origine ethnique.

    Le lendemain de ce coup de fil, j’ai demandé à mon frère d’appeler Medix. La standardiste lui demande son origine. Comme il fait mine de s’étonner de la question, elle lui précise qu’il s’agit de l’origine ethnique. Il hésite puis dit qu’il est français et s’appelle Frédéric Leroi, un pseudonyme qui semble la rassurer. Quelques semaines plus tard, je fais téléphoner un ami qui prétend être d’origine portugaise. Pas plus que pour M. Leroi, la responsable ne s’inquiète alors de déterminer le type physique du candidat. L’origine européenne de M. Souza lui a, semble-t-il, paru suffisante et elle lui donna un rendez-vous pour le lendemain.

    Medix, au cours des différentes étapes de sélection, m’a semblé repousser les candidats s’écartant du modèle du jeune homme blanc, stable, en bonne santé potentielle. Il est possible qu’en évitant les personnes d’origine étrangère, mais aussi les pauvres, les sans domiciles, l’institut cherche à écarter des personnes au comportement pressenti comme incertain et s’efforce de constituer une clientèle stable de cobayes « sûrs » : peu susceptibles de mentir aux questions, de s’absenter, de rater les rendez-vous, etc. Le refus systématique permettrait alors d’empêcher la constitution de réseaux de volontaires vus comme « douteux » et diffusant les coordonnées de l’institut hors des cercles ciblés.

    Les autres questions que pose la réceptionniste sont moins importantes. L’activité n’est pas toujours demandée, mais les étudiants sont invités à préciser leur section (peut être pour déterminer quelles sont les connaissances médicales du sujet). Enfin, il suffit de dire que l’on a déjà participé à des tests pour être dispensé de la visite médicale dont je vais parler. La standardiste ne vérifie pas, ne se sert d’aucun fichier de contrôle et prend pour acquis les réponses faites [21].

    A mon premier appel je fais l’erreur de dire que je suis allergique et la standardiste me renvoie alors au service cosmétique. Je rappelle quelques semaines plus tard. La standardiste, toujours aussi peu aimable et qui n’avait pas pris mon nom la première fois me pose les mêmes questions. Cette fois je prétends n’avoir jamais entendu parler d’allergies dans ma famille et j’obtiens un rendez-vous pour le lendemain à huit heures[22].

    Le jour dit, je suis accueilli à l’entrée par la réceptionniste, débordée : elle doit à la fois recevoir les arrivants, répondre au téléphone qui ne cesse de sonner et orienter les candidats. Ces derniers doivent présenter une pièce d’identité gardée à la réception et vont ensuite remplir un questionnaire au troisième étage, dans une salle d’attente comble. Ce document fait le bilan de l’état passé et actuel de la santé du postulant à partir de son seul témoignage. On insiste pour savoir s’il boit ou se drogue, et je note qu’un test HIV sera effectué. Après une heure d’attente, je suis reçu par un médecin pour une visite rapide. Il lit le questionnaire et demande des éclaircissements avant de procéder à un rapide examen : tension, poumons, etc. Je réponds sincèrement à ces questions, et fais état de quelques affections passées, ce qui est une erreur. Je suis exclu des tests de médicaments et je suis de nouveau renvoyé au service cosmétique[23].

    A ce stade de mon expérience chez Medix, les règles d’admission paraissent donc strictes : Certains antécédents médicaux déclarés sont propres à disqualifier le sujet. J’ai été desservi par ma spontanéité et je réalise qu’il faut donner à l’institution les réponses les meilleurs sur sa santé et nier tout problème et antécédent.

    Je reviens donc un an plus tard. Coup de fil, visite. Cette fois je biaise ou écarte les questions délicates et dis m’être toujours bien porté. Je déclare n’avoir pris aucun médicament depuis des semaines alors que je viens en fait de terminer un traitement anti-inflammatoire pour guérir une entorse et que j’ai absorbé l’avant-veille de l’aspirine et un comprimé contre les allergies. Vraisemblablement, les dossiers n’ont pas gardé trace de mon précédent passage, et je franchis sans difficulté le barrage de la visite[24]. Mon cas n’est pas isolé. Mes amis ont éludé les questions embarrassantes (antécédents, allergies, service militaire). Il n’y a de toute façon aucune vérification possible. Est-ce que cette sélection est purement formelle avec des critères médicaux de peu d’importance ? Je ne sais.

     

     

     

    Le choix des tests : le moindre mal au meilleur prix

     

    Après la visite, je me rends au bureau des plannings pour discuter du choix d’un test. L’accueil n’y est pas plus aimable. Il n’y a que deux employées débordées pour s’occuper des candidats qui font la queue, répondre au téléphone, renseigner les médecins à le recherche d’un dossier ou d’une information... Personne ne semble me prêter la moindre attention. Au bout d’un moment l’une des employées me demande à quel type de protocole je veux participer. C’est une femme d’une quarantaine d’années, au ton sec. Elle me vouvoie (plus tard les infirmières nous tutoierons). Je demande un test qui ne s’étale pas trop dans le temps. Elle tire immédiatement une fiche d’un cahier aux feuilles plastifiées et me dit : « J'ai ça, deux fois deux jours, plus bilan final, une semaine après, indemnisation 4000 francs ». Je ne retiens pas le nom du médicament. Elle parle vite et utilise des termes médicaux pour décrire le protocole, mais je crois comprendre que le remède s’adresse aux anciens consommateurs de haschisch. Je la sens impatiente comme si elle voulait me « vendre » rapidement son protocole et elle ajoute pour me convaincre : « Ce n’est pas un protocole difficile, il n’y a pas beaucoup de prises de sang (là, je dois être intéressé semble-t-il) mais ça inclut des électroencéphalogrammes, ça ne vous embête pas ? » Elle semble s’attendre à un refus de ma part, mais je n’ai aucune idée de ce qu’est cet examen, et la perspective de gagner 2400 euros en quatre jours me séduit assez. Par ailleurs je ne connais rien à la pharmacopée et le médicament n’a, a priori, rien de pire qu’un autre. J’accepte donc, et mon interlocutrice me rassure en précisant que le test n’a d’autres effets secondaires attendus qu’un vague assoupissement.

    Plus tard, il m’est apparu que cette personne, dans le cadre d’une activité comparable au travail à la chaîne, avait la responsabilité de réaliser l’adéquation entre l’offre et la demande de tests. Certains candidats sont au fait des tests faciles ou non, rentables ou mal payés, et certains protocoles sont plus demandés que d’autres. En écoutant des conversations, j’ai constaté des problèmes d’organisation. Il faut qu’un nombre voulu de volontaires soit trouvé dans de brefs délais pour chaque test : « Pour le test X il manque encore des gens, et ça commence dans trois jours », « Pour le protocole Y de la semaine prochaine, j’ai encore trouvé personne », etc. L’un des critères qui conduit les candidats à éviter certains protocoles est la nature et le nombre des examens préliminaires. Après chacune de mes visites j’ai été étonné de constater que d’autres volontaires, examinés le même jour, avaient « eu » de meilleurs tests que moi, c’est-à-dire mieux payés ou moins pénibles, ou les deux. Il est probable que comme dans d’autres institutions, les nouveaux se voient moins bien traités ou soient utilisés pour faire ce que personne d’autre ne veut faire. En outre, le sujet débutant n’a aucun autre moyen de savoir quels sont les protocoles disponibles que cet entretien rapide avec la responsable[25]. Il est tout à fait possible à cette dernière de dire à un candidat qu’il n’y a rien correspondant à ses attentes, même si ce n’est pas exact. Elle peut ainsi l’obliger à revoir ses exigences et à accepter d’autres tests[26]. Plusieurs discussions avec des volontaires expérimentés m’ont montré que ce fait est connu et que les candidats expérimentés essaient d’entretenir de bonnes relations avec les responsables de la distribution des tests. Il existe donc un marché informel des tests pour lequel la connaissance des procédures de l’institution et le capital relationnel sont des atouts que le candidat peut faire valoir.

    Mais le choix du protocole n’est que le début du processus, et avant d’être autorisé à commencer les examens médicaux de sélection, je dois encore répondre à des tests de personnalité à l’étage supérieur. Je ne sais pas à qui m’adresser, des gens circulent sans s’arrêter. Finalement, jeune homme en blouse blanche accepte la corvée. Nous nous retrouvons dans une petite salle où je dois, dans un temps limité, répondre à une série de questions concernant mes réactions dans certaines situations. Cela me semble saugrenu: « Vous arrive-t-il de vous sentir très heureux ? Aimez-vous parler aux gens, même si vous ne les connaissez pas? Avez-vous des périodes d’abattement ? Aimez-vous faire la fête ? Vous arrive-t-il d’être triste ? » Que répondre ? J’ai envie de dire que tout dépend du contexte mais cette case n’est pas dans le QCM. Je coche sans trop réfléchir en me plaignant à l’infirmier de l’étrangeté des questions.

    D’après les résultats qu’il me rapporte quelques instants plus tard, j’apprends que je suis « trop extraverti » pour participer au protocole. J’ignore les critères de décision qu’utilise le test, mais le résultat me semble arbitraire, comme s’il avait été conduit dans la précipitation sans se soucier des conditions de réalisation (compréhension des question, interprétations que font les sujets quand aux « bonnes » réponses à donner, etc.) et avec pour seul souci d’aboutir rapidement à une décision d’éviction ou de sélection.

    Il me faut donc redescendre choisir un autre protocole, et j’ai alors sérieusement l’impression d’être en train de perdre cette matinée que l’on m’avait obligé à commencer à jeun. Comme je m’y attends, la dame des plannings n’est pas ravie de me revoir, car il est presque onze heures elle attend la pause avec impatience. Aussi nous nous décidons vite. Elle me propose un médicament déjà commercialisé qui facilite la circulation sanguine en précisant que cela n’aura aucun effet sur un volontaire sain. La durée du test est courte : deux fois deux jours et demi, plus bilan final. Lors de la première période d’hospitalisation, le produit  nous sera administré par goutte à goutte sous perfusion, et lors de la deuxième sous forme de gel. J’affirme que cela ne me dérange pas, tout comme les prélèvements sanguins qui sont, dit-elle, « assez nombreux », car l’indemnisation vient facilement à bout de mes réticences : 6000 francs pour cinq jours. J’accepte donc en cinq minutes de tester un médicament dont je n’arrive même pas à retenir le nom, dont je ne connais pas les véritables effets et qui me sera administré à des doses que je suis incapable d’apprécier.

    Nouvelle étape du processus : la responsable me donne un document de six pages (le «consentement de participation ») que je dois lire avant d’être soumis aux examens médicaux d’entrée. En signant je certifie notamment que j’ai été parfaitement informé des buts de l’étude, de la nature exacte du produit, et des risques potentiels de l’étude, ce qui me semble loin d’être exact puisque les responsables sont avant tout préoccupés de compléter rapidement leur feuille de planning. Pour remplir le formulaire, je dois enfin simplifier mon nom en cinq lettres pour porter ensuite ce code en badge au cour du protocole, c’est-à-dire que le personnel me désignera en usant de ce pseudonyme. Je suppose alors que cela sert préserver l’anonymat des participants pendant les interactions quotidiennes.

     

    Avant de commencer les examens il faut entrer dans la grande salle des prélèvements et attendre près d’un présentoir que le médecin examine notre dossier. Je me tiens debout, un homme en blouse blanche me dit sèchement de m’asseoir pendant qu’un autre s’exclame qu’il y trop de bruit dans la salle. J’ai l’impression d’être dans une caserne. Mon tour venu, une jeune fille en blouse me dit sans même me regarder de me déchausser et de me tenir sur la balance électronique placée à côté. Elle indique 62 kilos, soit 11 de moins que mon poids habituel. Je signale que la mesure est fausse mais la fille me répond « c’est ce qui est écrit en tous cas ». Soit. J’attends et le médecin prend mon dossier.

    « Vous n’avez pas de problèmes de santé particuliers ? »

    « Non ».

    « Pas d’allergies ? »

    « Non plus ». J’ai pris l’habitude de mentir.

    « Ah! Mais je vois un problème de poids. Vous ne pouvez pas participer au protocole, votre poids est en dessous des barèmes ».

    Je lui répète alors ce que j’avais dit à la jeune fille, et il m’invite sèchement à retourner sur la balance qui cette fois daigne me rendre mes 73 kilos et demi. « Ah! Mais ça va » dit-il.

    Je suis abasourdi et réalise alors que toutes ces procédures sont extrêmement bâclées. Le personnel et jeune et sans doute mal formé et son seul objectif semble être de « traiter » sans perdre de temps un flux de candidats, c'est-à-dire trier des personnes et remplir des formulaires sans grand soucis de la qualité des informations recueillies.

    Alors que mon impatience va croissant, une autre jeune fille me dit de passer à la tension. Je m’allonge, mais le relevé indique bien entendu une tension trop haute. Le deuxième relevé, cinq minutes plus tard, est sans doute meilleur, mais, mais on m’oublie, et l’appareil prend automatiquement une bonne dizaine de mesures. Un homme passe : « Eh bien! Mets toi debout maintenant, qu’est ce que tu attends ? ». Il me semble inutile de lui répondre que j’attends qu’on me dise ce que je dois faire, car tout le service semble mal organisé. Debout ma tension est trop haute, et seul le troisième relevé est dans les normes. « Ouf! T'as eu chaud, me dit-il, si le troisième était pas bon t’étais recalé. » Cela me parait grotesque puisque dix minutes avant on m’avait dit d’attendre jusqu’à ce que la tension redescende, et que je me doute que l’on n’exclut pas des volontaires pour si peu. Il y a beaucoup de gens à examiner en même temps et il est certain que le personnel prend des libertés avec les règles sévères en apparence.

    Après cela, je passe en salle d’électrocardiogramme. Les électrodes ne tiennent pas sur ma poitrine, et la jeune fille doit utiliser un gel froid et gluant. C’est l’occasion d’échanger quelques propos sympathiques. Je remarque que le petit personnel soignant, en majorité jeune et féminin subit la pression d’un travail intense. Dans les moments de calme certaines sympathisent avec les volontaires qui sont presque tous des garçons du même âge. Celle qui s’occupe de mon électrocardiogramme s’y prend à deux reprises, le premier ne lui semblait pas bon, sans qu’elle sache me dire pourquoi. Elle m’explique qu’elle ne sait pas lire les graphiques mais qu’elle sait quand il faut les refaire.

    L’étape suivante m’emmène au dernier étage pour le bilan physiologique. Je croise un homme en chemise d’une cinquantaine d’année, c’est « l’anesthésiste », prêt à s’occuper de moi : « Ça va, vous êtes en forme ? Vous faites du sport ? Tout va bien ? Pas de troubles particuliers ?  ». Bien évidemment, tout va pour le mieux selon moi. Il signe, je signe, c’est fini. Je me demande alors à quoi sert ce simulacre d’examen et je me dis qu’on aurait pu m’épargner la corvée de répondre trois fois aux mêmes questions.

    Il ne reste ensuite que la prise de sang, effectuée par une jeune femme aux gestes précis et rapides qui ne m’adresse pas un mot et ne me regarde même pas. Les examens sont terminés et je descends au bureau des plannings où la responsable, qui cache mal son impatience derrière un sourire tendu, me donne la feuille de rendez-vous réglant mes prochaines visites. Il est midi et demi, j’ai passé ma première demi-journée chez Medix.

     

    L’organisation du protocole : une médecine rapide sans respect pour les volontaires

     

    Deux jours plus tard la standardiste m’informe par téléphone que mon bilan d’entrée est valable: ils n’ont donc pas tenu compte de mes fraudes.

    A mon arrivée, vers 18 heures, la réceptionniste m’ordonne de monter en « réa » où une infirmière m’attribue un lit. J’en profite pour discuter avec les autres volontaires. Nous sommes quatre à tester le produit cette semaine. Deux étudiants et un employé à mi-temps à La Poste âgé de 35 ans. Les deux étudiants font leur deuxième passage de 60 heures. Ils nous disent qu’on a vraiment fait le mauvais choix avec ce test : « les prises de sang c’est un vrai calvaire, 25 pour le premier séjour, 24 pour le second, on vous réveille la nuit pour vous piquer ». J’avais mal lu le consentement et ce détail m’avait échappé, mais c’est un peu tard pour reculer. D’autres volontaires arrivent ensuite. Mon voisin d’en face a 28 ans, il est garde du corps et m’explique : « chez nous le boulot ça va ça vient, alors quand j’ai une période calme je fais ce genre de trucs ». Mon voisin postier, lui est en vacances et compte partir ensuite se reposer une semaine dans le Massif Central. Plus au fond il y a une jeune étudiante qui teste un produit lié à la contraception.

    Dans l’autre salle se trouve un groupe enfermé pour trois semaines pour un protocole payé 20000 francs. Ce sont apparemment des étudiants pour la plupart et ils ont l’air de s’ennuyer. Certains jouent aux échecs ou aux dames, d’autres regardent la télévision ou lisent. De notre côté, nous passons la soirée à discuter en attendant du nouveau, et à 23 heures le médecin de garde vient éteindre les lumières et le récepteur T.V. Il nous donne des flacons pour recueillir nos urines le lendemain et nous demande de ne pas boire, mais je le ferai quand même. Pendant la nuit, tout le monde dort mal, car il y a du bruit et de la lumière à côté.

    Le lendemain nous sommes réveillés à sept heures et une foule ne tarde pas à apparaître. Il y a l’anesthésiste, le médecin responsable du protocole et plusieurs jeunes gens en blouse blanche, les préleveurs. Ils sont chargés des prises de sang et des examens et disent avoir  un certificat de préleveur, mais j’ignore de quoi il s’agit. Ce sont certainement des jeunes sans diplômes : C. nous expliquera même qu’il a été un moment « à la rue », et qu’il n’est donc pas mécontent d’être aujourd’hui chez Medix, même si le salaire est bas et qu’il habite loin de l’institut. Personnel et volontaires doivent supporter les ordres et la pression des médecins, hautains et désagréables dont le type est M.G, le « directeur ». Il porte toujours un noeud papillon, parle peu, marche vite et ne salue personne. On le voit partout. Le matin il fait parfois les prélèvements au deuxième étage et toute la salle est alors en ébullition. Personne ne veut être surpris en flagrant délit de négligence. Ce directeur presse son équipe, exige le silence, se plaint que les tubes n’arrivent pas ou que les volontaires gênent le passage. Dans cette atmosphère, les « cobayes » (nous nous donnons nous même ce surnom bien que l’institution, elle, l’évite soigneusement) sont traités avec peu de considération, un peu comme du bétail ou des instruments. Le personnel en général hésite entre le "tu" et le "vous" à notre égard, peu nous saluent et certains nous répondent sèchement, comme à des enfants. Je remarque que le personnel soignant a peur des médecins et qu’une seule personne semble leur tenir tête, D. qui me dit être la seule infirmière diplômée de l’institut[27]. Elle est employée comme prestataire, ce qui la rend moins dépendante de Medix : « Ils ont besoin de moi alors je prends un peu mes libertés ».

    Quelle que soit l’attitude des préleveurs, c’est en tous cas, pour nous, la sensation de fatigue qui domine, car dès le matin on nous demande de rester éveillés, sans raison apparente et sans tenir compte de notre lassitude. Certaines préleveuses réveillent ceux qui se rendorment, d’autres les laissent se reposer ou feignent de vouloir les réveiller. Je constate qu’elles font mine de respecter certaines règles qu’elles n’approuvent pas forcement ou qu’elles ne comprennent pas.

     

    Le test commence véritablement quand le médecin responsable nous place une perfusion de produit sur le bras gauche. Une infirmière fixe ensuite un petit capteur sur notre poitrine qui enregistre le rythme des battements cardiaques. Au-dessus de 90 pulsations par minute un petit bip se fait entendre. Je suis stressé par tous ces préparatifs et quand je me redresse le signal attire l’attention. Je ne vois pas du tout à quoi sert tout cela et j’imagine que se rendre aux toilettes doit devenir une expédition, car il faut traîner la perfusion avec soi et détacher les capteurs. En attendant, la routine du test se prépare : à heures fixes, les préleveurs nous font subir électrocardiogramme, prise de tension et prise de sang et nous devons remettre des flacons d’urine à intervalles réguliers. Le médecin insiste pour que les horaires soient respectés à la minute près, ce qui me semble alors être une nouvelle exigence aussi tatillonne qu’inutile. Alors que la procédure se met en place pour nous, elle commence pour d’autres qui arrivent et s’installent. A huit heures, le dortoir est plein, et les préleveurs, débordés, doivent s’occuper en même temps des examens spécifiques de chaque protocole.

    J’essaye de me rendormir, mais les prises de sang se succèdent à rythme rapide et je suis obligé de garder un oeil sur la pendule pour faire signe aux préleveurs quand vient mon heure. Ils vont de lit en lit et parfois le relevé ou le prélèvement se fait avec quelques minutes de retard. Au début, ils ont du mal à mémoriser les heures de chacun, mais comme le médecin est parti, cela ne semble pas préoccupant.

    La journée se passe ensuite à somnoler, à regarder la télévision ou à discuter. Certains volontaires sympathisent avec les préleveuses ou font des tentatives de drague. L’ambiance dans la salle est agréable mais, comme d’autres, j’ai du mal à supporter la télévision sans interruption.

    En fin d’après midi pourtant, je commence à réaliser pourquoi le protocole est bien indemnisé. Le bras gauche étant immobilisé, tous les prélèvements se font sur le droit. Les premiers ne sont pas douloureux, mais rapidement la veine se tuméfie. Au bout du dixième, nous sommes pleins d’ecchymoses et les préleveuses ne savent plus où nous piquer. Je dis à l’une d’elle de changer de veine, mais ce faisant elle se rapproche du cartilage, et l’aiguille provoque une douleur vive. La fatigue aidant, certaines préleveuses se font moins adroites. Exaspérés, les deux garçons qui avaient commencé le test la semaine dernière demandent un cathéter, mais la jeune fille répond sans entrain qu’elle n’est pas habilitée à les poser. Seule D., l’infirmière pourrait le faire, mais elle n’ose pas sans l’avis du médecin. Or celui-ci n’est pas là et personne ne juge important d’aller lui en parler. Aussi, continuent-elles à nous piquer jusqu’à la nuit, quand le rythme des prises de sang finit par s’espacer. C’est alors qu’intervient le médecin de nuit qui se charge de nous réveiller. Il est d’origine asiatique, plus doux que les autres, presque timide. On lui reparle du cathéter mais il dit que ce n’est pas à lui de décider. Il a l’air fatigué et je le soupçonne d’avoir une autre activité dans la journée. Bien qu’aidé en bas par des préleveurs qui piquent des veines à la chaîne, il parait débordé et doit faire le va et vient entre les étages. Au milieu de la nuit, il a dix ou quinze minutes de retard sur les horaires prévus, ce qui n’a pas l’air de l’inquiéter, comme si l’absence d’un médecin en chef permettait plus de souplesse dans le suivi du programme.

    Le deuxième matin nous sommes encore plus fatigués et le médecin refuse de placer le cathéter car « ça risque de gêner  ». Je vois surtout que cela ne le gêne pas de voir que nous ne pouvons presque plus plier le coude. La préleveuse est obligée de commencer à piquer une troisième veine, presque au bord du bras, ce qui rend l’opération nettement plus douloureuse. Je ne pensais pas à cela quand j’ai dit que les prises de sang ne me dérangeaient pas. Mais certains volontaires doivent faire face à des situations plus préoccupantes encore. Dans une petite salle isolée, je retrouve à l’occasion d’un déplacement vers les toilettes, le jeune garde du corps. Son protocole est très dur : trois jours couché sous surveillance permanente. Il teste un dérivé de la morphine. Il semble à moitié inconscient et les deux tubes qui sortent de ses narines lui donnent l’air d’un grand blessé. Un autre volontaire commente la situation en me disant : « Il faut être fou pour accepter ce test, le précédant avait eu des problèmes, des arrêts respiratoires, à cause de problèmes de dosage, je crois ». Cela explique sans doute les 9000 francs d’« indemnisation » pour deux fois trois jours. J’en retiens qu’il ne faut pas accepter n’importe quoi, et mon voisin est d’accord. Il a participé à plusieurs protocoles et précise qu’il a toujours veillé à ne prendre que des produits qui n’avaient pas l’air dangereux. J’ignore si l’anecdote des arrêts respiratoires est exacte mais en regardant mes veines violacées je me dis que c’est bien possible. Notre impression est que l’institut fait appel à des garçons plus téméraires que les autres pour tester des produits mal connus contre une rémunération alléchante. Mon entourage m’avait mis en garde en me disant que cela ne valait pas la peine de risquer sa santé pour quelques milliers de francs et j’avais répondu qu’il suffisait de faire attention au produit. Mais je constate alors qu’il n’y a qu’au moment du test que le volontaire sait exactement ce qu’il est en train de faire. Avant d’accepter, tout se passe trop vite et une fois à l’institut on est pris dans un engrenage : on va de prises de sang en relevés sans que l’on nous demande notre avis et sans être tenu au courant de l’évolution du test. Une fois perfusés, nous sommes de simples sujets d’expérience et en aucun cas des patients, suivis, informés, rassurés. Plus le test avance plus cette impression d’être instrumentalisé se fait pressante et désagréable.

     

    Ma deuxième nuit se passe dans l’une des chambres du deuxième étage que je partage avec un jeune étudiant en physique. Il veut gagner un peu d’argent pour s’acheter une voiture et son test lui impose de passer quatre nuits chez Medix étalées sur un mois, mais il se dit satisfait (il a peu de prises de sang). Pour moi, l’épreuve continue et, comme je n’ai plus de perfusion, il me faut maintenant aller à l’étage pour les examens. Cela signifie qu’il faut se lever deux fois en pleine nuit pour se faire piquer. C’est d’autant plus désagréable que le sommeil accentue la sensation de douleur sur ma troisième veine qui n’a déjà plus d’espace vierge. Au deuxième réveil, je compte les dernières prises de sang qu’il nous reste et en entendant mes réclamations, l’un des « infirmiers » nous dit avec un sourire goguenard de porter sur nous le consentement quand on sortira, au cas où la police nous « prendrait pour des drogués ». Je suis fatigué et je trouve cet humour douteux, à l’image du dédain qu’affiche tout le personnel à notre égard, femmes de service comprises

     

    Le deuxième séjour est, en tout point, semblable au premier. La seule différence est que maintenant je connais la maison. Je retrouve des visages connus, et je salue certains préleveurs sympathiques. Confiant, j’ai pris des libertés avec les interdits fixés par la procédure : j’ai fait du sport dans l’intervalle, j’ai bu du thé et je viens sans être à jeun. Personne ne s’en aperçoit. Le protocole se déroule d’ailleurs dans de meilleures conditions tout d’abord parce que nous n’avons plus à supporter la perfusion (remplacée par l’application d’un gel) ensuite parce qu’en voyant nos bleus le médecin finit par accepter le cathéter : « Voyons on ne peut pas les laisser comme ça » dit-il à l’infirmière. Je me demande alors pourquoi il n’est pas arrivé à la même conclusion lors du premier séjour. Le cauchemar des prises de sang prend donc fin mais mon tube se ferme mal et chaque prélèvement provoque le versement d’une petite flaque de sang sur les draps et le sol. Cela devient une occasion de plaisanter avec l’infirmière qui répète volontiers : « eh bien, toujours un problème avec ces volontaires ».

     

    Volontaires et préleveurs : la précarité des jeunes au service du « capitalisme de la santé ».

     

    Quand il n’est pas sous la pression hiérarchique, le personnel chargé des menus services, et en particulier la partie la plus jeune, est volontiers compatissant à notre égard. Les préleveurs ayant plus d’ancienneté en revanche, sont souvent secs et plus préoccupés du traitement du flux de volontaires que de l’établissement de relations amicales. Ajoutons qu’il n’est en général guère possible de se lancer dans de grandes discussions puisqu’un effectif réduit se voit imposer un grand nombre de tâches. La relative désorganisation est apparente à certains moments : une préleveuse en cherche une autre, une troisième est appelée en bas, une quatrième dit qu’elle ne peut se charger seule de tous les gens de la salle et attend de l’aide; on cherche le médecin, on ne le trouve pas et des volontaires arrivent pour le bilan physiologique. Les tâches quotidiennes paraissent simples et sont répétitives, mais la difficulté vient du flux à traiter et de l’obligation de respecter les procédures. Dans ce contexte, je remarque, le deuxième jour, l’arrivée d’une nouvelle. Une préleveuse est chargée de lui montrer comment fonctionne la réanimation, mais elle l’abandonne rapidement et vaque à ses occupations. La jeune fille reste donc seule et ne sait pas exactement quoi faire. Le médecin passe et lui donne des informations, mais il va vite et ne lui laisse pas le temps d’assimiler. Elle parait perdue et je constate que si les opérations s’enchaînent sans problème en réanimation c’est parce que les agents sont habitués à la succession de ces tâches identiques[28].

    Le volontaire a au départ l’impression de se confier à un hôpital, mais il réalise ensuite qu’il est utilisé par une « boîte à tests ». Medix fonctionne en effet à plein rendement pour organiser en même temps un grand nombre de protocoles en s’appuyant sur le travail standardisé et répétitif d’un petit personnel soignant, jeune, et aux qualifications incertaines. Dans le cadre de cette routine, les volontaires sont traités comme l’élément humain indispensable qui, en se soumettant aux consignes de fonctionnement, doit permettre la bonne marche des opérations. Le comportement des agents de l’institution avec les sujets est donc marqué par l’ambiguïté. Il existe un respect de façade pour conforter la légitimité et la respectabilité de l’institution, qui rappelle les stratégies de présentation observées par D. Ball dans une clinique d’avortement[29]. Mais, en parallèle, on constate un certain mépris dans la pratique quotidienne, du fait du statut, déprécié socialement, de jeunes gens obligés de se vendre à la science[30]. Ce fait est accentué par les nécessités du traitement de flux importants de personnes. Le seul élément qui atténue l’impression désagréable que laisse un séjour chez Medix vient de la complicité qui peut se créer, dans certaines conditions, entre des préleveurs jeunes et mal payés, et les cobayes du même âge et dans des situations financières précaires. Les deux catégories se savent dans des situations comparables et mesurent ce qui les rapproche. En situation précaire, ils apprécient ce que Medix peut offrir mais ils sont conscients de n’être que des instruments mal payés dans un système où l’essentiel des profits leur échappe complètement.

     

    En conclusion, il faut donc revenir sur l’idée que c’est une logique de profit au moindre coût qui commande l’organisation des tests de médicaments. Alors qu’il faut dix ans pour mettre sur le marché un nouveau médicament, des instituts privés se font concurrence pour boucler dans les meilleurs délais les tests que demandent les laboratoires. L’observation participante ne permet pas de décrire l’ensemble des étapes qui constituent un test de médicament mais elle montre plusieurs effets de la recherche du profit dans un institut qui organise des essais.

    D’abord, l’afflux des demandes de tests (évident quand on écoute les conversations du personnel) et les tentatives pour assurer leur démarrage et leur déroulement dans les délais les plus brefs conduisent à une évidente désorganisation administrative. Le personnel est débordé, l’archivage et le suivi des dossiers des volontaires parait insuffisant, la sélection est effectuée dans la hâte. Dans leurs pratiques quotidiennes, les agents semblent plus préoccupés de traiter rapidement des dossiers que de s’assurer de l’exactitude des renseignements recueillis, et de la rigueur des procédures. Ainsi, les critères de sélection sont expéditifs et apparaissent presque irrationnels aux observateurs : tri en fonction de la couleur de la peau, de l’indication d’une balance, du résultat d’un test psychologique effectué dans la hâte, d’un antécédent médical mineur, etc. En même temps, les dossiers sont mal suivis et les agents font ce qu’ils peuvent pour travailler en perdant le moins de temps possible : les déclarations des volontaires ne sont pas vérifiées, les examens faits la nuit sont moins fiables, etc. On observe en fait le résultat de la juxtaposition d’une exigence théorique de sélection sévère avec les adaptations pratiques des exécutants à une situation de surcharge de travail.

    Pour accroître les profits, l’institut étudié utilise un personnel jeune, peu formé, mis au travail en équipes réduites, et en fonction d’horaires contraignants. La deuxième conséquence importante de la course au profit dans l’organisation du système des tests est donc l’utilisation de jeunes en situation professionnelle incertaine à la fois pour effectuer les essais et pour s’y soumettre. Il en résulte une pression accrue sur ces jeunes exécutants et un comportement peu respectueux des volontaires, traités comme une masse qui doit être disciplinée et utilisée de façon à obtenir les résultais attendus dans les meilleurs délais. On observe des moments de complicité entre les deux catégories mais qui ne vont pas au delà de sourires ou de signes d’encouragements. Dans la pratique, le personnel reporte sur les cobayes les pressions auxquelles ils sont eux même soumis.

    La rentabilité du système est donc assurée par le fait qu’une partie de la jeunesse, en situation professionnelle ou financière peu stabilisées, est prête à accepter une certaine forme de soumission aux intérêts d’entreprise privées liées au secteur de la production pharmaceutique : exécution de tâches répétitives et peu payées ou « prêt » de son corps pour des essais sur lesquels ils n’ont que peu de connaissance et pas de contrôle. Les volontaires partent du principe que l’acceptation de certaines souffrances est compensée par la possibilité de gagner rapidement de l’argent. Ils ont l’impression de se trouver au sein d’une structure de type hospitalier, ce qui les rassure et les conduit à accepter toutes sortes d’expérimentations sans avoir une conscience très claire des dangers auxquels ils s’exposent. Une fois les tests conclus et fournis aux laboratoires, les consommateurs, de la même manière que les volontaires, font confiance à l’industrie pharmaceutique parce qu’ils sont certains que le processus de validation est conduit en tous points « selon des procédures scientifiques ». Le but de ce texte n’est pas de montrer que les médicaments proposés au public sont mal testés. Il suggère simplement que les intérêts financiers et commerciaux des différents acteurs impliqués dans la mise au point des médicaments ont des effets concrets et importants mais mal évalués sur le processus. La prétention à la « scientificité » qui entoure ces pratiques fournit l’écran qui conduit le grand public comme les cobayes à accepter ce qu’on leur propose.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Louer son corps à la science :

    l’organisation des essais de médicaments sur l’homme

     

    Christophe Brochier[31]

     

     

    L’exemple du Teldane, retiré de la circulation pour avoir causé la mort de plusieurs personnes, met en lumière le fait que les effets secondaires des médicaments que nous utilisons quotidiennement peuvent être mal connus. Une loi oblige les laboratoires pharmaceutiques à des tests rigoureux mais le grand public ignore comment dans la pratique ces essais sont réalisés. Peu de gens savent que les médicaments mis au point sont testés sur des volontaires à travers plusieurs étapes successives. La première concerne des sujets sains en nombre réduit et a pour objet de vérifier la tolérance et la toxicité du médicament. La phase 2 concerne des sujets malades en plus grand nombre, 100 à 200 et vise à déterminer la dose minimale à partir de laquelle le produit est actif, la dose maximale supportable et, entre les deux , la dose moyenne efficace. La phase trois étend l’expérimentation à plusieurs centaines de malades, avec comparaison par rapport à des produits de référence. Après cela, le laboratoire peut demander une autorisation de mise sur le marché

    J’ai participé à des tests en phase 1, et je propose ici le récit de cette expérience, à partir d’un point de vue sociologique, celui du « cobaye » en m’appuyant sur plusieurs participations à des essais dans un institut parisien spécialisé (que j’appellerai Medix) entre 1994 et 1996. On verra que, confiée à des instituts privés, l’évaluation des médicaments se fait dans la précipitation : l’objectif étant que le plus grand nombre de médicaments puisse être testé le plus rapidement possible et au moindre coût. 

     

    L’organisation matérielle des tests à Medix- Paris

     

    Parmi les nombreux centres existant en France, certains sont installés au sein d’hôpitaux, d’autres comme Medix ont des locaux  indépendants. Le candidat aux tests a donc le choix. J’ai commencé par me rendre chez Medix, puis j’ai essayé de participer à des tests chez « Farmex » (pseudonyme), avant de m’inscrire sur une liste d’attente au CET (Centre d’Evaluation Thérapeutique). Les deux premiers sont des instituts ayant des locaux indépendants situés à Paris, le dernier est installé dans un grand CHU de province. A Paris, d’après des candidats informés, d’autres centres existent dans des hôpitaux, et proposent régulièrement des protocoles (terme d’usage) comparables à ceux de Medix.

    Medix occupe un grand bâtiment de quatre étages, flanqué de deux petites annexes en préfabriqué. L’enseigne est discrète, et ne renseigne pas sur la nature des activités du centre. De l’extérieur, on a l’impression qu’il s’agit d’un laboratoire d’analyses médicales. En entrant, c’est la sensation d’être dans un hôpital en pleine activité qui domine. Des hommes et des femmes en blouses blanches circulent avec empressement. A l’entrée, un bureau d’accueil où une queue se forme des huit heures du matin et où le téléphone sonne en permanence. En face, une petite salle où trois ou quatre femmes en blouse sont chargées d’attribuer des tests aux candidats choisis et d’établir les plannings. Le premier et le deuxième étages abritent des chambres pouvant recevoir entre deux et quatre personnes avec deux douches sur le palier. Le troisième étage concentre les diverses salles d’examen. Le dernier étage est réservé à la « réa » : deux grandes salles dans lesquelles sont disposées deux rangées de 8 lits se faisant face, chacune surplombée par deux postes de télévision. Au fond de la salle de droite on trouve, outre les salles de bains et les uniques toilettes, deux petites pièces. L’une sert aux électroencéphalogrammes, l’autre au suivi intensif de certains sujets. Les préfabriqués minuscules à l’extérieur sont destinés aux tests de cosmétiques (des expériences visant à tester des produits qui ne sont pas des médicaments).

    L’institut a considérablement grossi. Quelques années auparavant, tout se passait dans les préfabriqués puis, l’activité s’est étendue à l’immeuble adjacent. Mais l’espace semble continuer à manquer. Ainsi, la distribution des chambres est souvent un problème pour la responsable des plannings, et les sujets sont logés à plusieurs. En salle de réanimation, garçons et filles peuvent être mélangés ce qui oblige à utiliser un paravent pour certaines manipulations.

     

    Les candidats aux protocoles : chômeurs et étudiants  

     

    J’ai appris l’existence de Medix en 1993 par l’intermédiaire d’un ami qui depuis plusieurs années finançait ses études en participant à des protocoles (le terme d’usage pour les tests). Je commençai ma thèse l’année suivante et je me suis donc intéressé à cette solution pour subvenir à mes besoins. Le montant des rémunérations (qu’on appelle indemnisations) est environ de mille francs par jour passé à l’institut. Le sujet (on parle de volontaire) peut donc gagner rapidement des sommes non négligeables à condition de ne pas dépasser un cumul de vingt-cinq mille francs par an et de respecter un délai de trois mois entre chaque expérience.

    Le deuxième avantage pour le testeur est que Medix propose en permanence un nombre important de protocoles. Le sujet peut choisir entre plusieurs tests s’étalant sur des durées diverses, entre trois jours et trois semaines. Si certains exigent une hospitalisation, d’autres n’imposent qu’un ou deux passages par jour pour des prises de médicaments ou des examens. Le volontaire négocie le choix du protocole avec la responsable du planning, mais l’expérience, une fois commencée, ne peut être interrompue.

    Medix attire donc principalement des étudiants désargentés[32] et des chômeurs. La « clientèle » est jeune, âgée de vingt à trente-cinq ans et presque totalement masculine. Les femmes que j’ai rencontrées participaient à des tests liés à la contraception[33]. Sur les murs, au rez-de-chaussée et au troisième étage, des panneaux annoncent que l’institut recherche des femmes ménopausées pour participer à certains protocoles. D’autres proposent des tests spécifiques pour les allergiques ou les gros fumeurs.

    L’institut compte sur le bouche à oreille pour les recrutements. Même chez les jeunes (la catégorie potentiellement la plus intéressée), peu connaissent l’existence de ces centres qui tiennent à rester discrets[34]. Lors de mon premier contact en 1994, la standardiste me demanda qui m’avait indiqué l’existence de l’institut, et j’ai dû donner le nom de mon camarade. Par la suite, j’ai moi-même fait la publicité de Medix auprès d’amis en quête de revenus complémentaires. Il est possible que cette préférence pour l’indication mutuelle corresponde à une stratégie d’évitement des candidats que l’institut juge indésirables. Cependant la salle d’attente pour les pré-admissions est pleine dès huit heures du matin et il faut en principe patienter une à deux heures avant d’être examiné par le médecin. Cela ne permet pas d’affirmer que Medix a toujours à sa disposition le nombre de volontaires voulus (la sélection en écarte certains et les besoins varient dans le temps) mais on constate au moins que l’information circule et qu’un flux constant amène de nouvelles recrues.

     

     

    Manoeuvrer pour être admis : la rigueur de la sélection n’est qu’apparente

     

    Mon premier contact avec Medix s’est fait par téléphone (mon ami m’avait averti qu’il valait mieux dire le mot protocole dans la discussion : « ça fait plus au courant »). La standardiste me lit avec un ton sec et pressé  une liste de questions[35].

    Avez-vous déjà participé à un protocole ?

    Avez-vous déjà passé la visité d’admission ?

    Avez-vous des antécédents allergiques ou hépatiques ?

    Avez-vous de l’asthme ?

    Avez-vous subi des opérations chirurgicales ?

    Avez-vous une couverture sociale ?

    De quelle origine êtes-vous ?

    Quel est votre âge ?

    Avez-vous effectué votre service militaire ?

    Que faites-vous dans la vie ?

    Comment avez-vous connu Medix ?

     

    J’ai constaté plus tard, que l’ordre et la nature des questions peuvent changer. La standardiste, débordée, semble vouloir perdre le moins de temps possible avec ce premier tri des candidats et elle pose ces questions sans laisser le temps de répondre avec précision. Le point crucial concerne les antécédents médicaux. Les allergiques ou les malades du foie sont immédiatement écartés. La question sur le service militaire a pour objectif de savoir si le candidat a été réformé. L’un de mes amis qui n’avait pas prévu cette question a dû reconnaître que l’armée n’avait pas voulu de lui parce qu’il avait prétendu souffrir de problèmes mentaux, ce qui lui a valu un refus. La troisième question qui concerne « l’origine » du sujet est surprenante et inattendue. Ma première réaction a été de demander ce que ce mot signifiait. A quoi on m’a répondu : « êtes-vous de type indo-Européen » ? J’ai répondu que je pensais que oui car mes parents étaient français. Il semble donc que Medix cherche à éviter les candidats qui ne seraient pas blancs et je n’ai effectivement pas rencontré en 1994 et 1995 de candidats noirs, ou maghrébins.

    Pour vérifier l’existence de critères « raciaux » de sélection, j’ai téléphoné en 1997 en prétendant m’appeler Nasser Yissid, de parents algériens mais de nationalité française. La standardiste m’a immédiatement répondu que l’institut n’avait besoin pour l’instant que de « candidats de type caucasien », mais qu’elle me gardait sur son fichier Le personnel emploie donc des mots d’apparence scientifique (type caucasien ou indo-européen) pour éviter de dire clairement que les gens de couleurs ou les étrangers ne sont pas les bienvenus. Medix ne souhaite pas recruter des « non caucasiens  » et tous les gens que l’on peut voir dans l’institut sont blancs, à part les femmes de ménage, toutes africaines. J’ignore si cela est justifié par des différences physiologiques selon l’origine ethnique.

    Le lendemain de ce coup de fil, j’ai demandé à mon frère d’appeler Medix. La standardiste lui demande son origine. Comme il fait mine de s’étonner de la question, elle lui précise qu’il s’agit de l’origine ethnique. Il hésite puis dit qu’il est français et s’appelle Frédéric Leroi, un pseudonyme qui semble la rassurer. Quelques semaines plus tard, je fais téléphoner un ami qui prétend être d’origine portugaise. Pas plus que pour M. Leroi, la responsable ne s’inquiète alors de déterminer le type physique du candidat. L’origine européenne de M. Souza lui a, semble-t-il, paru suffisante et elle lui donna un rendez-vous pour le lendemain.

    Medix, au cours des différentes étapes de sélection, m’a semblé repousser les candidats s’écartant du modèle du jeune homme blanc, stable, en bonne santé potentielle. Il est possible qu’en évitant les personnes d’origine étrangère, mais aussi les pauvres, les sans domiciles, l’institut cherche à écarter des personnes au comportement pressenti comme incertain et s’efforce de constituer une clientèle stable de cobayes « sûrs » : peu susceptibles de mentir aux questions, de s’absenter, de rater les rendez-vous, etc. Le refus systématique permettrait alors d’empêcher la constitution de réseaux de volontaires vus comme « douteux » et diffusant les coordonnées de l’institut hors des cercles ciblés.

    Les autres questions que pose la réceptionniste sont moins importantes. L’activité n’est pas toujours demandée, mais les étudiants sont invités à préciser leur section (peut être pour déterminer quelles sont les connaissances médicales du sujet). Enfin, il suffit de dire que l’on a déjà participé à des tests pour être dispensé de la visite médicale dont je vais parler. La standardiste ne vérifie pas, ne se sert d’aucun fichier de contrôle et prend pour acquis les réponses faites [36].

    A mon premier appel je fais l’erreur de dire que je suis allergique et la standardiste me renvoie alors au service cosmétiques. Je rappelle quelques semaines plus tard. La standardiste, toujours aussi peu aimable et qui n’avait pas pris mon nom la première fois me pose les mêmes questions. Cette fois je prétends n’avoir jamais entendu parler d’allergies dans ma famille et j’obtiens un rendez-vous pour le lendemain à huit heures[37].

    Le jour dit, je suis accueilli à l’entrée par la réceptionniste, débordée : elle doit à la fois recevoir les arrivants, répondre au téléphone qui ne cesse de sonner et orienter les candidats. Ces derniers doivent présenter une pièce d’identité gardée à la réception et vont ensuite remplir un questionnaire au troisième étage, dans une salle d’attente comble. Ce document fait le bilan de l’état passé et actuel de la santé du postulant à partir de son seul témoignage. On insiste pour savoir s’il boit ou se drogue, et je note qu’un test HIV sera effectué. Après une heure d’attente, je suis reçu par un médecin pour une visite rapide. Il lit le questionnaire et demande des éclaircissements avant de procéder à un rapide examen : tension, poumons, etc. Je réponds sincèrement à ces questions, et fais état de quelques affections passées, ce qui est une erreur. Je suis exclu des tests de médicaments et je suis de nouveau renvoyé au service cosmétique[38].

    A ce stade de mon expérience chez Medix, les règles d’admission paraissent donc strictes : Certains antécédents médicaux déclarés sont propres à disqualifier le sujet. J’ai été desservi par ma spontanéité et je réalise qu’il faut donner à l’institution les réponses les meilleurs sur sa santé et nier tout problème et antécédent.

    Je reviens donc un an plus tard. Coup de fil, visite. Cette fois je biaise ou écarte les questions délicates et dis m’être toujours bien porté. Je déclare n’avoir pris aucun médicament depuis des semaines alors que je viens en fait de terminer un traitement anti-inflammatoire pour guérir une entorse et que j’ai absorbé l’avant-veille de l’aspirine et un comprimé contre les allergies. Vraisemblablement, les dossiers n’ont pas gardé trace de mon précédent passage, et je franchis sans difficulté le barrage de la visite[39]. Mon cas n’est pas isolé. Mes amis ont éludé les questions embarrassantes (antécédents, allergies, service militaire). Il n’y a de toute façon aucune vérification possible. Est-ce que cette sélection est purement formelle avec des critères médicaux de peu d’importance ? Je ne sais.

     

     

     

    Le choix des tests : le moindre mal au meilleur prix

     

    Après la visite, je me rends au bureau des plannings pour discuter du choix d’un test. L’accueil n’y est pas plus aimable. Il n’y a que deux employées débordées pour s’occuper des candidats qui font la queue, répondre au téléphone, renseigner les médecins à le recherche d’un dossier ou d’une information... Personne ne semble me prêter la moindre attention. Au bout d’un moment l’une des employées me demande à quel type de protocole je veux participer. C’est une femme d’une quarantaine d’années, au ton sec. Elle me vouvoie (plus tard les infirmières nous tutoierons). Je demande un test qui ne s’étale pas trop dans le temps. Elle tire immédiatement une fiche d’un cahier aux feuilles plastifiées et me dit : « J'ai ça, deux fois deux jours, plus bilan final, une semaine après, indemnisation 4000 francs ». Je ne retiens pas le nom du médicament. Elle parle vite et utilise des termes médicaux pour décrire le protocole, mais je crois comprendre que le remède s’adresse aux anciens consommateurs de haschisch. Je la sens impatiente comme si elle voulait me « vendre » rapidement son protocole et elle ajoute pour me convaincre : « Ce n’est pas un protocole difficile, il n’y a pas beaucoup de prises de sang (là, je dois être intéressé semble-t-il) mais ça inclut des électroencéphalogrammes, ça ne vous embête pas ? » Elle semble s’attendre à un refus de ma part, mais je n’ai aucune idée de ce qu’est cet examen, et la perspective de gagner 4000 francs en quatre jours me séduit assez. Par ailleurs je ne connais rien à la pharmacopée et le médicament n’a, a priori, rien de pire qu’un autre. J’accepte donc, et mon interlocutrice me rassure en précisant que le test n’a d’autres effets secondaires attendus qu’un vague assoupissement.

    Plus tard, il m’est apparu que cette personne, dans le cadre d’une activité comparable au travail à la chaîne, avait la responsabilité de réaliser l’adéquation entre l’offre et la demande de tests. Certains candidats sont au fait des tests faciles ou non, rentables ou mal payés, et certains protocoles sont plus demandés que d’autres. En écoutant des conversations, j’ai constaté des problèmes d’organisation. Il faut qu’un nombre voulu de volontaires soit trouvé dans de brefs délais pour chaque test : « Pour le test X il manque encore des gens, et ça commence dans trois jours », « Pour le protocole Y de la semaine prochaine, j’ai encore trouvé personne », etc. L’un des critères qui conduit les candidats à éviter certains protocoles est la nature et le nombre des examens préliminaires. Après chacune de mes visites j’ai été étonné de constater que d’autres volontaires, examinés le même jour, avaient « eu » de meilleurs tests que moi, c’est-à-dire mieux payés ou moins pénibles, ou les deux. Il est probable que comme dans d’autres institutions, les nouveaux se voient moins bien traités ou soient utilisés pour faire ce que personne d’autre ne veut faire. En outre, le sujet débutant n’a aucun autre moyen de savoir quels sont les protocoles disponibles que cet entretien rapide avec la responsable[40]. Il est tout à fait possible à cette dernière de dire à un candidat qu’il n’y a rien correspondant à ses attentes, même si ce n’est pas exact. Elle peut ainsi l’obliger à revoir ses exigences et à accepter d’autres tests[41]. Plusieurs discussions avec des volontaires expérimentés m’ont montré que ce fait est connu et que les candidats expérimentés essaient d’entretenir de bonnes relations avec les responsables de la distribution des tests. Il existe donc un marché informel des tests pour lequel la connaissance des procédures de l’institution et le capital relationnel sont des atouts que le candidat peut faire valoir.

    Mais le choix du protocole n’est que le début du processus, et avant d’être autorisé à commencer les examens médicaux de sélection, je dois encore répondre à des tests de personnalité à l’étage supérieur. Je ne sais pas à qui m’adresser, des gens circulent sans s’arrêter. Finalement, jeune homme en blouse blanche accepte la corvée. Nous nous retrouvons dans une petite salle où je dois, dans un temps limité, répondre à une série de questions concernant mes réactions dans certaines situations. Cela me semble saugrenu: « Vous arrive-t-il de vous sentir très heureux ? Aimez-vous parler aux gens, même si vous ne les connaissez pas? Avez-vous des périodes d’abattement ? Aimez-vous faire la fête ? Vous arrive-t-il d’être triste ? » Que répondre ? J’ai envie de dire que tout dépend du contexte mais cette case n’est pas dans le QCM. Je coche sans trop réfléchir en me plaignant à l’infirmier de l’étrangeté des questions.

    D’après les résultats qu’il me rapporte quelques instants plus tard, j’apprends que je suis « trop extraverti » pour participer au protocole. J’ignore les critères de décision qu’utilise le test, mais le résultat me semble arbitraire, comme s’il avait été conduit dans la précipitation sans se soucier des conditions de réalisation (compréhension des question, interprétations que font les sujets quand aux « bonnes » réponses à donner, etc.) et avec pour seul soucis d’aboutir rapidement à une décision d’éviction ou de sélection.

    Il me faut donc redescendre choisir un autre protocole, et j’ai alors sérieusement l’impression d’être en train de perdre cette matinée que l’on m’avait obligé à commencer à jeun. Comme je m’y attends, la dame des plannings n’est pas ravie de me revoir, car il est presque onze heures elle attend la pause avec impatience. Aussi nous nous décidons vite. Elle me propose un médicament déjà commercialisé qui facilite la circulation sanguine en précisant que cela n’aura aucun effet sur un volontaire sain. La durée du test est courte : deux fois deux jours et demi, plus bilan final. Lors de la première période d’hospitalisation, le produit nous sera administré par goutte à goutte sous perfusion, et lors de la deuxième sous forme de gel. J’affirme que cela ne me dérange pas, tout comme les prélèvements sanguins qui sont, dit-elle, « assez nombreux », car l’indemnisation vient facilement à bout de mes réticences : 6000 francs pour cinq jours. J’accepte donc en cinq minutes de tester un médicament dont je n’arrive même pas à retenir le nom, dont je ne connais pas les véritables effets et qui me sera administré à des doses que je suis incapable d’apprécier.

    Nouvelle étape du processus : la responsable me donne un document de six pages (le «consentement de participation ») que je dois lire avant d’être soumis aux examens médicaux d’entrée. En signant je certifie notamment que j’ai été parfaitement informé des buts de l’étude, de la nature exacte du produit, et des risques potentiels de l’étude, ce qui me semble loin d’être exact puisque les responsables sont avant tout préoccupés de compléter rapidement leur feuille de planning. Pour remplir le formulaire, je dois enfin simplifier mon nom en cinq lettres pour porter ensuite ce code en badge au cour du protocole, c’est-à-dire que le personnel me désignera en usant de ce pseudonyme. Je suppose alors que cela sert préserver l’anonymat des participants pendant les interactions quotidiennes.

     

    Avant de commencer les examens il faut entrer dans la grande salle des prélèvements et attendre près d’un présentoir que le médecin examine notre dossier. Je me tiens debout, un homme en blouse blanche me dit sèchement de m’asseoir pendant qu’un autre s’exclame qu’il y trop de bruit dans la salle. J’ai l’impression d’être dans une caserne. Mon tour venu, une jeune fille en blouse me dit sans même me regarder de me déchausser et de me tenir sur la balance électronique placée à côté. Elle indique 62 kilos, soit 11 de moins que mon poids habituel. Je signale que la mesure est fausse mais la fille me répond « c’est ce qui est écrit en tous cas ». Soit. J’attends et le médecin prend mon dossier.

    « Vous n’avez pas de problèmes de santé particuliers ? »

    « Non ».

    « Pas d’allergies ? »

    « Non plus ». J’ai pris l’habitude de mentir.

    « Ah! Mais je vois un problème de poids. Vous ne pouvez pas participer au protocole, votre poids est en dessous des barèmes ».

    Je lui répète alors ce que j’avais dit à la jeune fille, et il m’invite sèchement à retourner sur la balance qui cette fois daigne me rendre mes 73 kilos et demi. « Ah! Mais ça va » dit-il.

    Je suis abasourdi et réalise alors que toutes ces procédures sont extrêmement bâclées. Le personnel et jeune et sans doute mal formé et son seul objectif semble être de « traiter » sans perdre de temps un flux de candidats, c'est-à-dire trier des personnes et remplir des formulaires sans grand soucis de la qualité des informations recueillies.

    Alors que mon impatience va croissant, une autre jeune fille me dit de passer à la tension. Je m’allonge, mais le relevé indique bien entendu une tension trop haute. Le deuxième relevé, cinq minutes plus tard, est sans doute meilleur, mais, mais on m’oublie, et l’appareil prend automatiquement une bonne dizaine de mesures. Un homme passe : « Eh bien! Mets toi debout maintenant, qu’est ce que tu attends ? ». Il me semble inutile de lui répondre que j’attends qu’on me dise ce que je dois faire, car tout le service semble mal organisé. Debout ma tension est trop haute, et seul le troisième relevé est dans les normes. « Ouf! T'as eu chaud, me dit-il, si le troisième était pas bon t’étais recalé. » Cela me parait grotesque puisque dix minutes avant on m’avait dit d’attendre jusqu’à ce que la tension redescende, et que je me doute que l’on n’exclut pas des volontaires pour si peu. Il y a beaucoup de gens à examiner en même temps et il est certain que le personnel prend des libertés avec les règles sévères en apparence.

    Après cela, je passe en salle d’électrocardiogramme. Les électrodes ne tiennent pas sur ma poitrine, et la jeune fille doit utiliser un gel froid et gluant. C’est l’occasion d’échanger quelques propos sympathiques. Je remarque que le petit personnel soignant, en majorité jeune et féminin subit la pression d’un travail intense. Dans les moments de calme certaines sympathisent avec les volontaires qui sont presque tous des garçons du même âge. Celle qui s’occupe de mon électrocardiogramme s’y prend à deux reprises, le premier ne lui semblait pas bon, sans qu’elle sache me dire pourquoi. Elle m’explique qu’elle ne sait pas lire les graphiques mais qu’elle sait quand il faut les refaire.

    L’étape suivante m’emmène au dernier étage pour le bilan physiologique. Je croise un homme en chemise d’une cinquantaine d’année, c’est « l’anesthésiste », prêt à s’occuper de moi : « Ça va, vous êtes en forme ? Vous faites du sport ? Tout va bien ? Pas de troubles particuliers ?  ». Bien évidemment, tout va pour le mieux selon moi. Il signe, je signe, c’est fini. Je me demande alors à quoi sert ce simulacre d’examen et je me dis qu’on aurait pu m’épargner la corvée de répondre trois fois aux mêmes questions.

    Il ne reste ensuite que la prise de sang, effectuée par une jeune femme aux gestes précis et rapides qui ne m’adresse pas un mot et ne me regarde même pas. Les examens sont terminés et je descends au bureau des plannings où la responsable, qui cache mal son impatience derrière un sourire tendu, me donne la feuille de rendez-vous réglant mes prochaines visites. Il est midi et demi, j’ai passé ma première demi-journée chez Medix.

     

    L’organisation du protocole : une médecine rapide sans respect pour les volontaires

     

    Deux jours plus tard la standardiste m’informe par téléphone que mon bilan d’entrée est valable: ils n’ont donc pas tenu compte de mes fraudes.

    A mon arrivée, vers 18 heures, la réceptionniste m’ordonne de monter en « réa » où une infirmière m’attribue un lit. J’en profite pour discuter avec les autres volontaires. Nous sommes quatre à tester le produit cette semaine. Deux étudiants et un employé à mi-temps à La Poste âgé de 35 ans. Les deux étudiants font leur deuxième passage de 60 heures. Ils nous disent qu’on a vraiment fait le mauvais choix avec ce test : « les prises de sang c’est un vrai calvaire, 25 pour le premier séjour, 24 pour le second, on vous réveille la nuit pour vous piquer ». J’avais mal lu le consentement et ce détail m’avait échappé, mais c’est un peu tard pour reculer. D’autres volontaires arrivent ensuite. Mon voisin d’en face a 28 ans, il est garde du corps et m’explique : « chez nous le boulot ça va ça vient, alors quand j’ai une période calme je fais ce genre de trucs ». Mon voisin postier, lui est en vacances et compte partir ensuite se reposer une semaine dans le Massif Central. Plus au fond il y a une jeune étudiante qui teste un produit lié à la contraception.

    Dans l’autre salle se trouve un groupe enfermé pour trois semaines pour un protocole payé 20000 francs. Ce sont apparemment des étudiants pour la plupart et ils ont l’air de s’ennuyer. Certains jouent aux échecs ou aux dames, d’autres regardent la télévision ou lisent. De notre côté, nous passons la soirée à discuter en attendant du nouveau, et à 23 heures le médecin de garde vient éteindre les lumières et le récepteur T.V. Il nous donne des flacons pour recueillir nos urines le lendemain et nous demande de ne pas boire, mais je le ferai quand même. Pendant la nuit, tout le monde dort mal, car il y a du bruit et de la lumière à côté.

    Le lendemain nous sommes réveillés à sept heures et une foule ne tarde pas à apparaître. Il y a l’anesthésiste, le médecin responsable du protocole et plusieurs jeunes gens en blouse blanche, les préleveurs. Ils sont chargés des prises de sang et des examens et disent avoir  un certificat de préleveur, mais j’ignore de quoi il s’agit. Ce sont certainement des jeunes sans diplômes : C. nous expliquera même qu’il a été un moment « à la rue », et qu’il n’est donc pas mécontent d’être aujourd’hui chez Medix, même si le salaire est bas et qu’il habite loin de l’institut. Personnel et volontaires doivent supporter les ordres et la pression des médecins, hautains et désagréables dont le type est M.G, le « directeur ». Il porte toujours un noeud papillon, parle peu, marche vite et ne salue personne. On le voit partout. Le matin il fait parfois les prélèvements au deuxième étage et toute la salle est alors en ébullition. Personne ne veut être surpris en flagrant délit de négligence. Ce directeur presse son équipe, exige le silence, se plaint que les tubes n’arrivent pas ou que les volontaires gênent le passage. Dans cette atmosphère, les « cobayes » (nous nous donnons nous même ce surnom bien que l’institution, elle, l’évite soigneusement) sont traités avec peu de considération, un peu comme du bétail ou des instruments. Le personnel en général hésite entre le "tu" et le "vous" à notre égard, peu nous saluent et certains nous répondent sèchement, comme à des enfants. Je remarque que le personnel soignant a peur des médecins et qu’une seule personne semble leur tenir tête, D. qui me dit être la seule infirmière diplômée de l’institut[42]. Elle est employée comme prestataire, ce qui la rend moins dépendante de Medix : « Ils ont besoin de moi alors je prends un peu mes libertés ».

    Quelle que soit l’attitude des préleveurs, c’est en tous cas, pour nous, la sensation de fatigue qui domine, car dès le matin on nous demande de rester éveillés, sans raison apparente et sans tenir compte de notre lassitude. Certaines préleveuses réveillent ceux qui se rendorment, d’autres les laissent se reposer ou feignent de vouloir les réveiller. Je constate qu’elles font mine de respecter certaines règles qu’elles n’approuvent pas forcement ou qu’elles ne comprennent pas.

     

    Le test commence véritablement quand le médecin responsable nous place une perfusion de produit sur le bras gauche. Une infirmière fixe ensuite un petit capteur sur notre poitrine qui enregistre le rythme des battements cardiaques. Au-dessus de 90 pulsations par minute un petit bip se fait entendre. Je suis stressé par tous ces préparatifs et quand je me redresse le signal attire l’attention. Je ne vois pas du tout à quoi sert tout cela et j’imagine que se rendre aux toilettes doit devenir une expédition, car il faut traîner la perfusion avec soi et détacher les capteurs. En attendant, la routine du test se prépare : à heures fixes, les préleveurs nous font subir électrocardiogramme, prise de tension et prise de sang et nous devons remettre des flacons d’urine à intervalles réguliers. Le médecin insiste pour que les horaires soient respectés à la minute près, ce qui me semble alors être une nouvelle exigence aussi tatillonne qu’inutile. Alors que la procédure se met en place pour nous, elle commence pour d’autres qui arrivent et s’installent. A huit heures, le dortoir est plein, et les préleveurs, débordés, doivent s’occuper en même temps des examens spécifiques de chaque protocole.

    J’essaye de me rendormir, mais les prises de sang se succèdent à rythme rapide et je suis obligé de garder un oeil sur la pendule pour faire signe aux préleveurs quand vient mon heure. Ils vont de lit en lit et parfois le relevé ou le prélèvement se fait avec quelques minutes de retard. Au début, ils ont du mal à mémoriser les heures de chacun, mais comme le médecin est parti, cela ne semble pas préoccupant.

    La journée se passe ensuite à somnoler, à regarder la télévision ou à discuter. Certains volontaires sympathisent avec les préleveuses ou font des tentatives de drague. L’ambiance dans la salle est agréable mais, comme d’autres, j’ai du mal à supporter la télévision sans interruption.

    En fin d’après midi pourtant, je commence à réaliser pourquoi le protocole est bien indemnisé. Le bras gauche étant immobilisé, tous les prélèvements se font sur le droit. Les premiers ne sont pas douloureux, mais rapidement la veine se tuméfie. Au bout du dixième, nous sommes pleins d’ecchymoses et les préleveuses ne savent plus où nous piquer. Je dis à l’une d’elle de changer de veine, mais ce faisant elle se rapproche du cartilage, et l’aiguille provoque une douleur vive. La fatigue aidant, certaines préleveuses se font moins adroites. Exaspérés, les deux garçons qui avaient commencé le test la semaine dernière demandent un cathéter, mais la jeune fille répond sans entrain qu’elle n’est pas habilitée à les poser. Seule D., l’infirmière pourrait le faire, mais elle n’ose pas sans l’avis du médecin. Or celui-ci n’est pas là et personne ne juge important d’aller lui en parler. Aussi, continuent-elles à nous piquer jusqu’à la nuit, quand le rythme des prises de sang finit par s’espacer. C’est alors qu’intervient le médecin de nuit qui se charge de nous réveiller. Il est d’origine asiatique, plus doux que les autres, presque timide. On lui reparle du cathéter mais il dit que ce n’est pas à lui de décider. Il a l’air fatigué et je le soupçonne d’avoir une autre activité dans la journée. Bien qu’aidé en bas par des préleveurs qui piquent des veines à la chaîne, il parait débordé et doit faire le va et vient entre les étages. Au milieu de la nuit, il a dix ou quinze minutes de retard sur les horaires prévus, ce qui n’a pas l’air de l’inquiéter, comme si l’absence d’un médecin en chef permettait plus de souplesse dans le suivi du programme.

    Le deuxième matin nous sommes encore plus fatigués et le médecin refuse de placer le cathéter car « ça risque de gêner  ». Je vois surtout que cela ne le gêne pas de voir que nous ne pouvons presque plus plier le coude. La préleveuse est obligée de commencer à piquer une troisième veine, presque au bord du bras, ce qui rend l’opération nettement plus douloureuse. Je ne pensais pas à cela quand j’ai dit que les prises de sang ne me dérangeaient pas. Mais certains volontaires doivent faire face à des situations plus préoccupantes encore. Dans une petite salle isolée, je retrouve à l’occasion d’un déplacement vers les toilettes, le jeune garde du corps. Son protocole est très dur : trois jours couché sous surveillance permanente. Il teste un dérivé de la morphine. Il semble à moitié inconscient et les deux tubes qui sortent de ses narines lui donnent l’air d’un grand blessé. Un autre volontaire commente la situation en me disant : « Il faut être fou pour accepter ce test, le précédant avait eu des problèmes, des arrêts respiratoires, à cause de problèmes de dosage, je crois ». Cela explique sans doute les 9000 francs d’« indemnisation » pour deux fois trois jours. J’en retiens qu’il ne faut pas accepter n’importe quoi, et mon voisin est d’accord. Il a participé à plusieurs protocoles et précise qu’il a toujours veillé à ne prendre que des produits qui n’avaient pas l’air dangereux. J’ignore si l’anecdote des arrêts respiratoires est exacte mais en regardant mes veines violacées je me dis que c’est bien possible. Notre impression est que l’institut fait appel à des garçons plus téméraires que les autres pour tester des produits mal connus contre une rémunération alléchante. Mon entourage m’avait mis en garde en me disant que cela ne valait pas la peine de risquer sa santé pour quelques milliers de francs et j’avais répondu qu’il suffisait de faire attention au produit. Mais je constate alors qu’il n’y a qu’au moment du test que le volontaire sait exactement ce qu’il est en train de faire. Avant d’accepter, tout se passe trop vite et une fois à l’institut on est pris dans un engrenage : on va de prises de sang en relevés sans que l’on nous demande notre avis et sans être tenu au courant de l’évolution du test. Une fois perfusés, nous sommes de simples sujets d’expérience et en aucun cas des patients, suivis, informés, rassurés. Plus le test avance plus cette impression d’être instrumentalisé se fait pressante et désagréable.

     

    Ma deuxième nuit se passe dans l’une des chambres du deuxième étage que je partage avec un jeune étudiant en physique. Il veut gagner un peu d’argent pour s’acheter une voiture et son test lui impose de passer quatre nuits chez Medix étalées sur un mois, mais il se dit satisfait (il a peu de prises de sang). Pour moi, l’épreuve continue et, comme je n’ai plus de perfusion, il me faut maintenant aller à l’étage pour les examens. Cela signifie qu’il faut se lever deux fois en pleine nuit pour se faire piquer. C’est d’autant plus désagréable que le sommeil accentue la sensation de douleur sur ma troisième veine qui n’a déjà plus d’espace vierge. Au deuxième réveil, je compte les dernières prises de sang qu’il nous reste et en entendant mes réclamations, l’un des « infirmiers » nous dit avec un sourire goguenard de porter sur nous le consentement quand on sortira, au cas où la police nous « prendrait pour des drogués ». Je suis fatigué et je trouve cet humour douteux, à l’image du dédain qu’affiche tous le personnel à notre égard, femmes de service comprises

     

    Le deuxième séjour est, en tout point, semblable au premier. La seule différence est que maintenant je connais la maison. Je retrouve des visages connus, et je salue certains préleveurs sympathiques. Confiant, j’ai pris des libertés avec les interdits fixés par la procédure : j’ai fait du sport dans l’intervalle, j’ai bu du thé et je viens sans être à jeun. Personne ne s’en aperçoit. Le protocole se déroule d’ailleurs dans de meilleures conditions tout d’abord parce que nous n’avons plus à supporter la perfusion (remplacée par l’application d’un gel) ensuite parce qu’en voyant nos bleus le médecin finit par accepter le cathéter : « Voyons on ne peut pas les laisser comme ça » dit-il à l’infirmière. Je me demande alors pourquoi il n’est pas arrivé à la même conclusion lors du premier séjour. Le cauchemar des prises de sang prend donc fin mais mon tube se ferme mal et chaque prélèvement provoque le versement d’une petite flaque de sang sur les draps et le sol. Cela devient une occasion de plaisanter avec l’infirmière qui répète volontiers : « eh bien, toujours un problème avec ces volontaires ».

     

    Volontaires et préleveurs : la précarité des jeunes au service du « capitalisme de la santé ».

     

    Quand il n’est pas sous la pression hiérarchique, le personnel chargé des menus services, et en particulier la partie la plus jeune, est volontiers compatissant à notre égard. Les préleveurs ayant plus d’ancienneté en revanche, sont souvent secs et plus préoccupés du traitement du flux de volontaires que de l’établissement de relations amicales. Ajoutons qu’il n’est en général guère possible de se lancer dans de grandes discussions puisqu’un effectif réduit se voit imposer un grand nombre de tâches. La relative désorganisation est apparente à certains moments : une préleveuse en cherche une autre, une troisième est appelée en bas, une quatrième dit qu’elle ne peut se charger seule de tous les gens de la salle et attend de l’aide; on cherche le médecin, on ne le trouve pas et des volontaires arrivent pour le bilan physiologique. Les tâches quotidiennes paraissent simples et sont répétitives, mais la difficulté vient du flux à traiter et de l’obligation de respecter les procédures. Dans ce contexte, je remarque, le deuxième jour, l’arrivée d’une nouvelle. Une préleveuse est chargée de lui montrer comment fonctionne la réanimation, mais elle l’abandonne rapidement et vaque à ses occupations. La jeune fille reste donc seule et ne sait pas exactement quoi faire. Le médecin passe et lui donne des informations, mais il va vite et ne lui laisse pas le temps d’assimiler. Elle parait perdue et je constate que si les opérations s’enchaînent sans problème en réanimation c’est parce que les agents sont habitués à la succession de ces tâches identiques[43].

    Le volontaire a au départ l’impression de se confier à un hôpital, mais il réalise ensuite qu’il est utilisé par une « boîte à tests ». Medix fonctionne en effet à plein rendement pour organiser en même temps un grand nombre de protocoles en s’appuyant sur le travail standardisé et répétitif d’un petit personnel soignant, jeune, et aux qualifications incertaines. Dans le cadre de cette routine, les volontaires sont traités comme l’élément humain indispensable qui, en se soumettant aux consignes de fonctionnement, doit permettre la bonne marche des opérations. Le comportement des agents de l’institution avec les sujets est donc marqué par l’ambiguïté. Il existe un respect de façade pour conforter la légitimité et la respectabilité de l’institution, qui rappelle les stratégies de présentation observées par D. Ball dans une clinique d’avortement[44]. Mais, en parallèle, on constate un certain mépris dans la pratique quotidienne, du fait du statut, déprécié socialement, de jeunes gens obligés de se vendre à la science[45]. Ce fait est accentué par les nécessités du traitement de flux importants de personnes. Le seul élément qui atténue l’impression désagréable que laisse un séjour chez Medix vient de la complicité qui peut se créer, dans certaines conditions, entre des préleveurs jeunes et mal payés, et les cobayes du même âge et dans des situations financières précaires. Les deux catégories se savent dans des situations comparables et mesurent ce qui les rapproche. En situation précaire, ils apprécient ce que Medix peut offrir mais ils sont conscients de n’être que des instruments mal payés dans un système où l’essentiel des profits leur échappe complètement.

     

    En conclusion, il faut donc revenir sur l’idée que c’est une logique de profit au moindre coût qui commande l’organisation des tests de médicaments. Alors qu’il faut dix ans pour mettre sur le marché un nouveau médicament, des instituts privés se font concurrence pour boucler dans les meilleurs délais les tests que demandent les laboratoires. L’observation participante ne permet pas de décrire l’ensemble des étapes qui constituent un test de médicament mais elle montre plusieurs effets de la recherche du profit dans un institut qui organise des essais.

    D’abord, l’afflux des demandes de tests (évident quand on écoute les conversations du personnel) et les tentatives pour assurer leur démarrage et leur déroulement dans les délais les plus brefs conduisent à une évidente désorganisation administrative. Le personnel est débordé, l’archivage et le suivi des dossiers des volontaires parait insuffisant, la sélection est effectuée dans la hâte. Dans leurs pratiques quotidiennes, les agents semblent plus préoccupés de traiter rapidement des dossiers que de s’assurer de l’exactitude des renseignements recueillis, et de la rigueur des procédures. Ainsi, les critères de sélection sont expéditifs et apparaissent presque irrationnels aux observateurs : tri en fonction de la couleur de la peau, de l’indication d’une balance, du résultat d’un test psychologique effectué dans la hâte, d’un antécédent médical mineur, etc. En même temps, les dossiers sont mal suivis et les agents font ce qu’ils peuvent pour travailler en perdant le moins de temps possible : les déclarations des volontaires ne sont pas vérifiées, les examens faits la nuit sont moins fiables, etc. On observe en fait le résultat de la juxtaposition d’une exigence théorique de sélection sévère avec les adaptations pratiques des exécutants à une situation de surcharge de travail.

    Pour accroître les profits, l’institut étudié utilise un personnel jeune, peu formé, mis au travail en équipes réduites, et en fonction d’horaires contraignants. La deuxième conséquence importante de la course au profit dans l’organisation du système des tests est donc l’utilisation de jeunes en situation professionnelle incertaine à la fois pour effectuer les essais et pour s’y soumettre. Il en résulte une pression accrue sur ces jeunes exécutants et un comportement peu respectueux des volontaires, traités comme une masse qui doit être disciplinée et utilisée de façon à obtenir les résultais attendus dans les meilleurs délais. On observe des moments de complicité entre les deux catégories mais qui ne vont pas au delà de sourires ou de signes d’encouragements. Dans la pratique, le personnel reporte sur les cobayes les pressions auxquelles ils sont eux même soumis.

    La rentabilité du système est donc assurée par le fait qu’une partie de la jeunesse, en situation professionnelle ou financière peu stabilisées, est prête à accepter une certaine forme de soumission aux intérêts d’entreprise privées liées au secteur de la production pharmaceutique : exécution de tâches répétitives et peu payées ou « prêt » de son corps pour des essais sur lesquels ils n’ont que peu de connaissance et pas de contrôle. Les volontaires partent du principe que l’acceptation de certaines souffrances est compensée par la possibilité de gagner rapidement de l’argent. Ils ont l’impression de se trouver au sein d’une structure de type hospitalier, ce qui les rassure et les conduit à accepter toutes sortes d’expérimentations sans avoir une conscience très claire des dangers auxquels ils s’exposent. Une fois les tests conclus et fournis aux laboratoires, les consommateurs, de la même manière que les volontaires, font confiance à l’industrie pharmaceutique parce qu’ils sont certains que le processus de validation est conduit en tous points « selon des procédures scientifiques ». Le but de ce texte n’est pas de montrer que les médicaments proposés au public sont mal testés. Il suggère simplement que les intérêts financiers et commerciaux des différents acteurs impliqués dans la mise au point des médicaments ont des effets concrets et importants mais mal évalués sur le processus. La prétention à la « scientificité » qui entoure ces pratiques fournit l’écran qui conduit le grand public comme les cobayes à accepter ce qu’on leur propose.

     

     



    [1] Centre de Recherches sur les Institutions, le Travail et l’Education, Université Paris 8

    [2] D’après des  discussions avec mes collègues, ce  ne sont pas des étudiants en médecine comme on pourrait le penser, ces derniers semblent plutôt méfiants à l’égard des expérimentations. Les étudiants dans mon entourage qui avaient des connaissances médicales m’ont vivement découragé de participer en me disant de ne pas jouer avec ma santé. Cette information a été confirmé à d’autres chercheurs : les futurs médecins qui participent à ces tests sont rares et agissent par curiosité pour des produits bénins.

    [3] L’une des explications à cette absence relative des femmes peut être la fréquence des prélèvements sanguins, incompatible avec le cycle menstruel. Il est possible que la direction cherche à éviter les femmes pour d’autres motifs, ou tout simplement que le nombre de candidats masculins soit supérieur. Mais je ne peux rien affirmer.

    [4] Un ami m’indiqua un encart discret qu’avait fait paraître l’institut dans un journal d’annonces gratuites distribué dans les universités. Le texte était court : « vous désirez participer à des tests de médicaments, rémunération intéressante, contactez le... » Nous n’avions remarqué cette annonce que parce que nous connaissions déjà Medix.

    [5] En 1997, la standardiste n’était plus la même et l’accueil, y compris téléphonique, s’était amélioré.

    [6] Quand on se présente au bureau des plannings, la responsable cherche notre ancien dossier, sans se référer à une quelconque liste informatique remise à jour. Dans mon cas la date séparant mon premier test du deuxième dépassait un an de quelques semaines et j’aurais du être soumis à une nouvelle visite, mais pour gagner du temps, le médecin et la responsable de la distribution des protocoles m’ont laisser continué le processus d’admission.

    [7] Il ne s’agit pas vraiment d’un rendez-vous puisque tous les nouveaux venus sont convoqués à la même heure. Dès huit heures la salle est donc pleine. Les responsables veulent vraisemblablement éviter que des candidats n’arrivent en fin de matinée, ce qui obligerait le médecin à rester plus longtemps. Tout le monde arrivant tôt, certains s’exaspèrent et s’en vont sans attendre leur tour. Pour les autres il faut patienter. C’est le premier exemple du manque d’égard que Medix accorde à ses cobayes. Le sachant je suis venu aux rendez-vous suivants à l’heure qui me convenait.

    [8] J’ai suivi ce conseil et j’ai participé plus tard à des tests de cosmétique : j’ai obtenu  300 euros pour tester une crème solaire.

    [9] Avant l’étape des analyses préliminaires à tout test, l’institution ne vérifie pas les déclarations. Je n’ai pas donné le nom de mon médecin traitant et aucune demande n’a été faite à ma famille.

    [10] On peut remarquer aussi qu’elle s’adresse le plus souvent à des candides en matière de médecine et que cela lui permet par le jeu de la présentation et du choix des informations données d’influer sur la décision du candidat.

    [11] C’est à mon avis ce qui s’est produit lors de ma quatrième demande de protocole, en 1996. La responsable m’a affirmé qu’elle n’avait que des tests très longs (deux à trois semaines) et que le seul test court dont elle disposait était celui qu’elle m’avait proposé dès le départ : un test comportant certains examens désagréables. J’ai été contraint d’accepter.

    [12] Information non vérifiée, mais de toutes les personnes qui se sont occupées de nous (médecins non compris), seule D. pouvait effectuer certaines opérations comme la pause des cathéters. L’absence de personnel qualifié, si elle se vérifiait, serait une preuve supplémentaire du fait que le sérieux de l’organisation est sacrifié à la recherche du profit.

    [13] Une des conséquences de cette spécialisation est que ces préleveurs sont réticents à accomplir d’autres actes, plus compliqués ou inhabituels. Par exemple, pour retirer le cathéter, la préleveuse a fait appel à l’infirmière, alors qu’il n’y a aucune difficulté apparente. Lors de mon dernier passage chez Medix, l’un des examens préliminaires incluait la mesure d’un temps de saignement : il faut pratiquer une petite incision sur la main du volontaire et éponger le sang avec un petit carré de papier absorbant pour voir au bout de combien de temps les tâches produites deviennent assez réduites pour être négligeables. La jeune femme qui venait de faire la prise de sang appela une de ses collègues en lui disant : « tu veux bien faire le temps de saignement, j’aime pas faire ça ».

    [14] Ball, D.W. : "An abortion clinic ethnography", Social Problem, 14 (Winter),pp. 293-301; repris dans Filstead,W.J. : Qualitative Methodology, Chicago, Markham Publishing Company, 1970, pp. 174-185.

    [15] Les relations personnel-testeurs  ne sont pas véritablement comparables avec celles existant entre le personnel soignant et les malades dans un hôpital, en raison du contexte des interactions. A l’hôpital, la tâche des aides soignantes et des infirmières est de porter des soins à des gens souffrants, alors que chez Medix la présence des sujets est dictée par le désir de gagner rapidement des sommes importantes. Commencer un test chez Medix donne une légère impression de honte, comme si c’était une situation de grande indigence qui expliquait qu’on laissât des inconnus manipuler notre corps. L’attitude peu compatissante d’une partie du personnel, plus pressé et moins attendri que dans le cas de malades hospitalisés, renforce cette sensation. Les plus jeunes en revanche ont tendance à alterner les marques de sympathies avec des attitudes plus froides découlant de la nécessité d’aller vite et d’obtenir discipline et obéissance de la part des volontaires.

    [16] Centre de Recherches sur les Institutions, le Travail et l’Education, Université Paris 8

    [17] D’après des  discussions avec mes collègues, ce  ne sont pas des étudiants en médecine comme on pourrait le penser, ces derniers semblent plutôt méfiants à l’égard des expérimentations. Les étudiants dans mon entourage qui avaient des connaissances médicales m’ont vivement découragé de participer en me disant de ne pas jouer avec ma santé. Cette information a été confirmé à d’autres chercheurs : les futurs médecins qui participent à ces tests sont rares et agissent par curiosité pour des produits bénins.

    [18] L’une des explications à cette absence relative des femmes peut être la fréquence des prélèvements sanguins, incompatible avec le cycle menstruel. Il est possible que la direction cherche à éviter les femmes pour d’autres motifs, ou tout simplement que le nombre de candidats masculins soit supérieur. Mais je ne peux rien affirmer.

    [19] Un ami m’indiqua un encart discret qu’avait fait paraître l’institut dans un journal d’annonces gratuites distribué dans les universités. Le texte était court : « vous désirez participer à des tests de médicaments, rémunération intéressante, contactez le... » Nous n’avions remarqué cette annonce que parce que nous connaissions déjà Medix.

    [20] En 1997, la standardiste n’était plus la même et l’accueil, y compris téléphonique, s’était amélioré.

    [21] Quand on se présente au bureau des plannings, la responsable cherche notre ancien dossier, sans se référer à une quelconque liste informatique remise à jour. Dans mon cas la date séparant mon premier test du deuxième dépassait un an de quelques semaines et j’aurais du être soumis à une nouvelle visite, mais pour gagner du temps, le médecin et la responsable de la distribution des protocoles m’ont laisser continué le processus d’admission.

    [22] Il ne s’agit pas vraiment d’un rendez-vous puisque tous les nouveaux venus sont convoqués à la même heure. Dès huit heures la salle est donc pleine. Les responsables veulent vraisemblablement éviter que des candidats n’arrivent en fin de matinée, ce qui obligerait le médecin à rester plus longtemps. Tout le monde arrivant tôt, certains s’exaspèrent et s’en vont sans attendre leur tour. Pour les autres il faut patienter. C’est le premier exemple du manque d’égard que Medix accorde à ses cobayes. Le sachant je suis venu aux rendez-vous suivants à l’heure qui me convenait.

    [23] J’ai suivi ce conseil et j’ai participé plus tard à des tests de cosmétique : j’ai obtenu  400 francs pour tester une crème solaire.

    [24] Avant l’étape des analyses préliminaires à tout test, l’institution ne vérifie pas les déclarations. Je n’ai pas donné le nom de mon médecin traitant et aucune demande n’a été faite à ma famille.

    [25] On peut remarquer aussi qu’elle s’adresse le plus souvent à des candides en matière de médecine et que cela lui permet par le jeu de la présentation et du choix des informations données d’influer sur la décision du candidat.

    [26] C’est à mon avis ce qui s’est produit lors de ma quatrième demande de protocole, en 1996. La responsable m’a affirmé qu’elle n’avait que des tests très longs (deux à trois semaines) et que le seul test court dont elle disposait était celui qu’elle m’avait proposé dès le départ : un test comportant certains examens désagréables. J’ai été contraint d’accepter.

    [27] Information non vérifiée, mais de toutes les personnes qui se sont occupées de nous (médecins non compris), seule D. pouvait effectuer certaines opérations comme la pause des cathéters. L’absence de personnel qualifié, si elle se vérifiait, serait une preuve supplémentaire du fait que le sérieux de l’organisation est sacrifié à la recherche du profit.

    [28] Une des conséquences de cette spécialisation est que ces préleveurs sont réticents à accomplir d’autres actes, plus compliqués ou inhabituels. Par exemple, pour retirer le cathéter, la préleveuse a fait appel à l’infirmière, alors qu’il n’y a aucune difficulté apparente. Lors de mon dernier passage chez Medix, l’un des examens préliminaires incluait la mesure d’un temps de saignement : il faut pratiquer une petite incision sur la main du volontaire et éponger le sang avec un petit carré de papier absorbant pour voir au bout de combien de temps les tâches produites deviennent assez réduites pour être négligeables. La jeune femme qui venait de faire la prise de sang appela une de ses collègues en lui disant : « tu veux bien faire le temps de saignement, j’aime pas faire ça ».

    [29] Ball, D.W. : "An abortion clinic ethnography", Social Problem, 14 (Winter),pp. 293-301; repris dans Filstead,W.J. : Qualitative Methodology, Chicago, Markham Publishing Company, 1970, pp. 174-185.

    [30] Les relations personnel-testeurs  ne sont pas véritablement comparables avec celles existant entre le personnel soignant et les malades dans un hôpital, en raison du contexte des interactions. A l’hôpital, la tâche des aides soignantes et des infirmières est de porter des soins à des gens souffrants, alors que chez Medix la présence des sujets est dictée par le désir de gagner rapidement des sommes importantes. Commencer un test chez Medix donne une légère impression de honte, comme si c’était une situation de grande indigence qui expliquait qu’on laissât des inconnus manipuler notre corps. L’attitude peu compatissante d’une partie du personnel, plus pressé et moins attendri que dans le cas de malades hospitalisés, renforce cette sensation. Les plus jeunes en revanche ont tendance à alterner les marques de sympathies avec des attitudes plus froides découlant de la nécessité d’aller vite et d’obtenir discipline et obéissance de la part des volontaires.

    [31] Centre de Recherches sur les Institutions, le Travail et l’Education, Université Paris 8

    [32] D’après des  discussions avec mes collègues, ce  ne sont pas des étudiants en médecine comme on pourrait le penser, ces derniers semblent plutôt méfiants à l’égard des expérimentations. Les étudiants dans mon entourage qui avaient des connaissances médicales m’ont vivement découragé de participer en me disant de ne pas jouer avec ma santé. Cette information a été confirmé à d’autres chercheurs : les futurs médecins qui participent à ces tests sont rares et agissent par curiosité pour des produits bénins.

    [33] L’une des explications à cette absence relative des femmes peut être la fréquence des prélèvements sanguins, incompatible avec le cycle menstruel. Il est possible que la direction cherche à éviter les femmes pour d’autres motifs, ou tout simplement que le nombre de candidats masculins soit supérieur. Mais je ne peux rien affirmer.

    [34] Un ami m’indiqua un encart discret qu’avait fait paraître l’institut dans un journal d’annonces gratuites distribué dans les universités. Le texte était court : « vous désirez participer à des tests de médicaments, rémunération intéressante, contactez le... » Nous n’avions remarqué cette annonce que parce que nous connaissions déjà Medix.

    [35] En 1997, la standardiste n’était plus la même et l’accueil, y compris téléphonique, s’était amélioré.

    [36] Quand on se présente au bureau des plannings, la responsable cherche notre ancien dossier, sans se référer à une quelconque liste informatique remise à jour. Dans mon cas la date séparant mon premier test du deuxième dépassait un an de quelques semaines et j’aurais du être soumis à une nouvelle visite, mais pour gagner du temps, le médecin et la responsable de la distribution des protocoles m’ont laisser continué le processus d’admission.

    [37] Il ne s’agit pas vraiment d’un rendez-vous puisque tous les nouveaux venus sont convoqués à la même heure. Dès huit heures la salle est donc pleine. Les responsables veulent vraisemblablement éviter que des candidats n’arrivent en fin de matinée, ce qui obligerait le médecin à rester plus longtemps. Tout le monde arrivant tôt, certains s’exaspèrent et s’en vont sans attendre leur tour. Pour les autres il faut patienter. C’est le premier exemple du manque d’égard que Medix accorde à ses cobayes. Le sachant je suis venu aux rendez-vous suivants à l’heure qui me convenait.

    [38] J’ai suivi ce conseil et j’ai participé plus tard à des tests de cosmétique : j’ai obtenu  400 francs pour tester une crème solaire.

    [39] Avant l’étape des analyses préliminaires à tout test, l’institution ne vérifie pas les déclarations. Je n’ai pas donné le nom de mon médecin traitant et aucune demande n’a été faite à ma famille.

    [40] On peut remarquer aussi qu’elle s’adresse le plus souvent à des candides en matière de médecine et que cela lui permet par le jeu de la présentation et du choix des informations données d’influer sur la décision du candidat.

    [41] C’est à mon avis ce qui s’est produit lors de ma quatrième demande de protocole, en 1996. La responsable m’a affirmé qu’elle n’avait que des tests très longs (deux à trois semaines) et que le seul test court dont elle disposait était celui qu’elle m’avait proposé dès le départ : un test comportant certains examens désagréables. J’ai été contraint d’accepter.

    [42] Information non vérifiée, mais de toutes les personnes qui se sont occupées de nous (médecins non compris), seule D. pouvait effectuer certaines opérations comme la pause des cathéters. L’absence de personnel qualifié, si elle se vérifiait, serait une preuve supplémentaire du fait que le sérieux de l’organisation est sacrifié à la recherche du profit.

    [43] Une des conséquences de cette spécialisation est que ces préleveurs sont réticents à accomplir d’autres actes, plus compliqués ou inhabituels. Par exemple, pour retirer le cathéter, la préleveuse a fait appel à l’infirmière, alors qu’il n’y a aucune difficulté apparente. Lors de mon dernier passage chez Medix, l’un des examens préliminaires incluait la mesure d’un temps de saignement : il faut pratiquer une petite incision sur la main du volontaire et éponger le sang avec un petit carré de papier absorbant pour voir au bout de combien de temps les tâches produites deviennent assez réduites pour être négligeables. La jeune femme qui venait de faire la prise de sang appela une de ses collègues en lui disant : « tu veux bien faire le temps de saignement, j’aime pas faire ça ».

    [44] Ball, D.W. : "An abortion clinic ethnography", Social Problem, 14 (Winter),pp. 293-301; repris dans Filstead,W.J. : Qualitative Methodology, Chicago, Markham Publishing Company, 1970, pp. 174-185.

    [45] Les relations personnel-testeurs  ne sont pas véritablement comparables avec celles existant entre le personnel soignant et les malades dans un hôpital, en raison du contexte des interactions. A l’hôpital, la tâche des aides soignantes et des infirmières est de porter des soins à des gens souffrants, alors que chez Medix la présence des sujets est dictée par le désir de gagner rapidement des sommes importantes. Commencer un test chez Medix donne une légère impression de honte, comme si c’était une situation de grande indigence qui expliquait qu’on laissât des inconnus manipuler notre corps. L’attitude peu compatissante d’une partie du personnel, plus pressé et moins attendri que dans le cas de malades hospitalisés, renforce cette sensation. Les plus jeunes en revanche ont tendance à alterner les marques de sympathies avec des attitudes plus froides découlant de la nécessité d’aller vite et d’obtenir discipline et obéissance de la part des volontaires.


  • Commentaires

    1
    Mardi 5 Avril 2016 à 21:54
    C'est un article séduisant.
    2
    Vendredi 8 Avril 2016 à 23:34
    Voilà une étude intéressante.
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